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L'HISTOIRE TEL NOUS LA CONNAISSONS

27 février 2013

LE SYNDICALISME

Naissance du syndicalisme en Europe

Le syndicalisme sous sa forme moderne est né en Europe dans les années 1880, résultant de la Révolution industrielle, de ses changements démographiques, politiques et surtout idéologiques[réf. nécessaire]. Mais le phénomène syndical européen n'a pas abouti à un syndicalisme européen unifié. Il a suivi différentes directions et les pensées syndicales britannique, allemande ou française élaborée dans les années 1880 – réformiste, révolutionnaire, politisée – se sont prolongées au XXe siècle.

La naissance du syndicalisme européen

Contexte

Concentration industrielle et démographique

La fin du XIXe siècle voit l'essor d'une vaste classe industrielle. Ainsi dans les années 1880, 50 % de la population active travaillent dans le secteur secondaire au Royaume-Uni, 40 % en Allemagne et 27 % en France[réf. nécessaire]. De grandes régions industrielles se développent essentiellement autour des bassins miniers : le centre de la France, une vaste bande comprenant le Nord, l'Alsace-Lorraine, la Sarre, la Ruhr, la Saxe et la Silésie, une grosse partie du Royaume-Uni des Midlands aux Lowlands.

Entre 1875 et 1895, la concentration des entreprises progresse de façon considérable, par la formation d'entreprises « géantes » pour l'époque et la conclusion d'ententes entre ces entreprises. En 1876, la moitié de la production industrielle de la Ruhr, par exemple, vient des trois firmes Haniel, Thyssen et Krupp[réf. nécessaire]. En France, l'exemple le plus frappant reste l'usine-monstre du Creusot qui regroupe dans les années 1870 plus de 10 000 ouvriers sur près de 130 hectares d'usines et 80 km² de concessions minières[réf. nécessaire]. Autre exemple, la Badische Anilin und Soda Fabrik (BASF) emploie 7 000 ouvriers en 1870 et 77 000 en 1882[réf. nécessaire]. Ce sont de véritables villes-usines qui existent dans les années 1880 essentiellement dans les secteurs miniers, sidérurgiques et chimiques. Cette concentration industrielle autour de grandes entreprises ou de régions fortement industrialisées a un fort impact sur les mutations démographiques.

On assiste durant le XIXe siècle à une forte croissance de la population totale : 85 % par demi-siècle pour le Royaume-Uni, 50 % pour l'Allemagne et 20 % pour la France[réf. nécessaire].

Cette croissance s'accompagne d'une forte urbanisation liée directement à l'activité industrielle : en 1880, 26 % de la population au Royaume-Uni habitent dans des villes de plus de 100 000 habitants, 8 % en Allemagne et 10 % en France (4 % en 1850)[réf. nécessaire]. Le phénomène se nourrit essentiellement par l'immigration rurale. Par exemple en France, entre 1872 et 1891, 87 % de l'augmentation des villes vient de l'immigration. Même s'il existe de profondes différences entre les pays d'Europe occidentale, cette concentration joue un rôle essentiel dans l'essor du syndicalisme, car c'est principalement parmi les ouvriers urbains que celui-ci recrute. Les grandes villes ouvrières deviennent-elles des capitales syndicales : Manchester, Lille, Essen, Barcelone, Milan, etc.

La proximité des ouvriers tant sur leur lieu de travail que dans les nouvelles cités ou régions industrielles, alliée à la rupture sociale que vivent certaines populations déracinées de leurs anciennes communautés (familiales, ethniques, rurales) et qui ont émigré, les amènent à acquérir rapidement une nouvelle identité de masse : celle de la classe ouvrière, du prolétariat[réf. nécessaire]. À la main-d'œuvre des vieux métiers à forte qualification s'ajoute désormais celle des nouvelles industries qui se contente en général d'une formation sommaire qui, en cas de chômage, rend son réemploi difficile. Elle n'a d'autre force que la masse qu'elle représente.

La condition ouvrière

Même si les progrès économiques profitent à la société dans son ensemble, la condition de vie de la classe ouvrière n'est guère enviable et c'est là une des premières revendications des syndicats : avant de « changer la société », les ouvriers veulent tout simplement « vivre mieux ».

Si la valeur du salaire nominal est en progrès, par-delà les inégalités de toutes sortes, le pouvoir d'achat est très variable. Dans l'ensemble, on peut parler de stagnation[réf. nécessaire], d'autant plus qu'aux fluctuations salariales, il faut juxtaposer celles de l'emploi, car le chômage total ou partiel est fréquent[réf. nécessaire]. Au congrès ouvrier de Marseille de 1879, est présenté un budget ouvrier. En ne comptant ni les vêtements, ni la maladie, ni l'achat d'un journal ou le paiement d'une cotisation, on arrive à un total de dépenses de 19,74 francs français. Or l'ouvrier en question ne gagne par semaine que 17,50 francs. Sa famille doit donc apporter le complément nécessaire (puisque les femmes sont sous-payées par rapport au même travail que celui fourni par un homme il est répandu à l'époque d'envoyer travailler ses enfants eux mêmes sous payés[réf. nécessaire]).

Sur 20 000 ouvriers dans le Nord de la France, les 4/5e ne gagnent pas 14 francs et plus de 4 000 familles ne possèdent d'autres ressources que le travail du père[réf. nécessaire]. William Booth, le fondateur de l'Armée du salut montra en 1888 qu'un tiers de la population de Londres vivait « dans la misère »[réf. nécessaire]. En se basant sur le revenu, E.S. Hobsbawn estime à 87 % la population des pauvres et très pauvres - ouvriers et paysans - dans le Royaume-Uni victorien[réf. nécessaire].

Les ouvriers d'Europe occidentale souffrent aussi de dures conditions d'existence : quasiment aucune protection sociale contre la maladie et la vieillesse jusqu'en 1880, répression des grèves et mécontentements, lois limitant la durée du travail rarement respectées (11 heures d'après la loi de 1848 en France)[réf. nécessaire], règlement intérieur excessif. Les ouvriers sont également les premiers à souffrir en période de crise. 1873-1896 correspond à la phase B du cycle Kondratieff avec la « grande dépression »[réf. nécessaire]. C'est donc une période encore plus dure pour les classes laborieuses européennes. L'ouvrier est aussi traité comme un paria : jusqu'à 1890, tous les ouvriers français doivent posséder un livret ouvrier qu'ils soumettent au contrôle des autorités lors de leurs déplacements.

En 1892, Henri Schneider, patron du Creusot en 1892, déclare (d'après Jules Huret, Enquête sur la question sociale en Europe, 1897) :

« c'est comme la réglementation du travail des femmes, des enfants, on met des entraves inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu'on veut défendre »
« pour moi la vérité, c'est qu'un ouvrier bien portant peut très bien faire ses dix heures par jour et qu'on doit le laisser libre de travailler davantage si ça lui fait plaisir ! »

L'entassement dans des quartiers à forte densité, l'alcoolisme, la violence, la dislocation des familles, le travail des enfants, une certaine résignation et l'opposition aux classes dominantes et peuvent expliquer l'esprit des ouvriers européens d'alors[réf. nécessaire].

Évolution des politiques gouvernementales européennes

Même si le XIXe siècle semble marqué par le sceau de la misère et du labeur, les historiens notent également l'évolution des pouvoirs occidentaux. Devenus plus démocratiques et plus soucieux du respect de la population que ne l'étaient leurs prédécesseurs monarchiques, ils commencent à faire écho aux revendications des ouvriers.

En France, en 1868, Napoléon III s'était efforcé de développer crèches, orphelinats, caisses d'assurance. En 1864, le droit de grève est accordé en France, en 1874, l'inspection du travail est créée et en 1884 la loi Waldeck-Rousseau règle la question de la liberté syndicale.

En Allemagne, Bismarck crée des caisses de secours (1875) et d'assurance-maladie (1883).

Au Royaume-Uni, le droit de grève est accordé depuis 1824 et avec le ministère Disraeli (1874-1880) les ouvriers bénéficient d'avantages importants : droit de grève total, patron et ouvrier égaux devant la loi, limitation du temps de travail, etc.

Mais il ne faut pas voir dans ces progrès de la législation sociale, l'avènement de gouvernements réformateurs mais plutôt le début d'une prise en compte du problème ouvrier et les milieux ouvriers l'ont compris, conscients que ce nouveau contexte leur permettra de revendiquer davantage[réf. nécessaire]. L'État commence en effet à donner un cadre légal à l'organisation économique libérale.

Il convient de remarquer que le Royaume-Uni présente un net décalage dans les différentes tendances mentionnées plus haut : sa Révolution Industrielle s'est faite dès la fin du XVIIIe siècle, son explosion démographique a plutôt eu lieu dans la première moitié du XIXe siècle, la liberté syndicale date de 1824. Toutefois, l'internationalisme qui caractérise le phénomène ouvrier des années 1980 amène le syndicalisme britannique à faire peau neuve également dans cette période et en quelque sorte celui-ci est en phase temporellement avec le reste de l'Europe occidentale, ce qui ne l'empêche pas de se différencier par ailleurs.

Courants idéologiques et évolution des mentalités

L'un des facteurs, peut-être le plus fondamental qui a déterminé le mouvement syndical qui s'est développé dans cette seconde moitié du XIXe siècle réside dans l'évolution des mentalités et surtout dans la mise en place et la diffusion de courants de pensée qui valorisent le monde ouvrier tels le socialisme ou l'anarchisme mais également d'un ensemble de notions de contestation sociale.

De nombreuses démarches militantes voient le jour dès 1850. Depuis les œuvres de ZolaL'Assommoir en 1876 qui peint la misère ouvrière parisienne et Germinal en 1885 qui dénonce les conditions de vie affreuses des mineurs – jusqu'aux discours d'Hugo contre le travail des enfants en 1875 en passant par la sympathie plus ou moins affirmée de l'opinion pour la cause ouvrière, des voix s'élèvent qui montrent bien la prise de conscience générale de la question ouvrière. Mais ce qui a forgé le plus la détermination syndicale naissante, ce sont les courants de pensées politiques nés de l'opposition entre les masses laborieuses et les milieux capitalistiques : socialisme, marxisme, anarchisme. Il serait trop ambitieux de vouloir développer ici toute l'histoire et les thèses de ces mouvances mais il convient toutefois d'en rappeler brièvement quelques éléments déterminants qui pourront nous aider à comprendre plus tard le syndicalisme en lui-même.

Dès la première moitié du XIXe siècle, des groupes socialistes s'élèvent contre l'injustice de la société capitalistique et l'absurdité des crises économiques qu'on pourrait éviter. Ils proposent une organisation de la société plus juste et plus rationnelle à leurs yeux. Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) donnent un nouvel élan à la critique socialiste. Pour Karl Marx, toutes les sociétés étant dominées par la « lutte des classes », le système capitalistique doit déboucher inéluctablement sur la révolution qui donnera le pouvoir au prolétariat. Pour hâter la victoire, les travailleurs doivent d'après lui se grouper en parti de classe, tous pays confondus. La nouvelle société qui en résultera sera basée sur le communisme où les classes n'existeront plus et aucune catégorie ne sera exploitée puisque les bénéfices du travail profiteront à tous. Telle est la vision globale du marxisme qui se présente comme la prise de conscience théorique par excellence des tâches historiques qui incombent au prolétariat.

Le socialisme trouvera à s'exprimer dans de nombreux pays par l'intermédiaire des relais que sont les partis nationaux comme le Parti Ouvrier Français fondé en 1879, le parti ouvrier social-démocrate allemand créé en 1869 ou la Société fabienne, organisation spécifiquement britannique qui prônera un socialisme modéré non marxiste à partir de 1884. Mais dans l'ensemble, les partis socialistes resteront très influencés par le marxisme après 1880.

L'anarchisme de son côté s'est principalement développé après 1850 en Russie, en France, en Italie et en Espagne. Son rôle a été prépondérant dans les milieux intellectuels et syndicalistes. Tirant essentiellement ses idées de Proudhon, Bakounine et Kropotkine, l'anarchisme refuse le capitalisme mais aussi la dictature du prolétariat. C'est un rejet global de tout ce qui limite la liberté de l'individu. Son idéal, et c'est ce en quoi il rejoint certaines conceptions syndicalistes, réside dans une société formée d'une fédération de petits groupes autonomes, solidaires au sein desquels les richesses sont réparties en fonction des besoins de chacun. C'est en quelque sorte le pendant du mouvement coopératif et mutualiste qui marqua les syndicalismes à leurs débuts.

Tous ces courants de pensée se confrontèrent au sein des Internationales dont il convient ici de parler. La première Internationale (Association internationale des travailleurs) fut fondée à Londres en 1864 à l'initiative des travailleurs français et britanniques et de Karl Marx. Son lien avec le syndicalisme européen et le mouvement ouvrier dans son ensemble fut immense mais aussi ambigu car c'est une organisation déchirée qui meurt en 1876, divisée entre Marx, Proudhon et Bakounine. La seconde Internationale, fondée à Paris en 1889 par un congrès composé de représentants socialistes de 23 pays compta sur la lutte des classes pour établir la dictature du prolétariat et collectiviser les moyens de production et d'échanges. L'influence de ces Internationales fut énorme : elles constituaient le cœur même de la réflexion et de l'action ouvrière et cimentaient les destins de l'ensemble de la classe laborieuse européenne, consciente désormais de son unité et de l'œuvre à accomplir. Tous ces courants de pensée donnèrent enfin à la classe ouvrière une base théorique et un idéal militant, facteur qui contribua grandement à l'essor du syndicalisme européen dans les années 1880.

L'action ouvrière et syndicale

Toutes ces circonstances ainsi que l'évolution du contexte légal permettent au syndicalisme, dans cette deuxième moitié du XIXe siècle, de se développer et de devenir une force dont il faut désormais tenir compte. Ainsi, alors que le Royaume-Uni compte 500 000 syndiqués en 75, ils sont au nombre de 1,6 million en 92; 350 000 en 90 en Allemagne; la France voit de son côté le nombre de syndicats passer de 500 en 81 à 2 300 en 95. Sans pour autant parler d'explosion, il s'agit bien là d'un essor sans précédent. Les années 1880 marque une sorte de naissance. Mais au-delà de l'ampleur numérique du phénomène syndical européen, le continent connaît dans cette période un essor frappant de l'action ouvrière qui se diversifie, s'organise et s'accroît.

Entraide et promotion

Sous un premier aspect, le syndicalisme se présente comme une communauté créée par les ouvriers le plus souvent dans les villes, pour répondre notamment à des besoins psycho-sociologiques de solidarité (atmosphère fraternelle, entraide, etc.) rendus d'autant plus fort que l'anonymat des villes et des usines est plus vivement ressenti (paysans déracinés, immigrants, etc.). On retrouve ici l'aspect communautaire (Gemeinschaft en allemand) que soulignait Tönnies à la fin du siècle dernier. Les syndicats fournissent à leurs adhérents logement, secours mutuels. Ils sont un moyen de promotion collective de la classe ouvrière et informent les militants sur les lois, les conditions de travail, les moyens de lutte ouvrière.

Les congrès ouvriers organisés par les syndicats se multiplient en Europe occidentale et peuvent rassembler plusieurs dizaines de milliers de personnes. Par exemple en France : en 1881, à Paris, Clément, Rouzade, Guesde, Chabert tiennent un meeting sur le thème : « de l'action économique et politique du prolétariat »[réf. nécessaire]. En 1883, à La Ferté-sous-Jouarre, c'est Chabert qui s'explique sur « la grève, son but, ses conséquences »[réf. nécessaire]. Ces congrès et meetings prennent aussi une dimension internationale et les congrès syndicaux internationaux comme celui de Londres en 1888 permettent une promotion supra-nationale de la classe ouvrière et la diffusion des doctrines et propositions. La presse syndicale et socialiste diffuse toutes ces informations et assure la propagande. On voit aussi dans ces années s'ouvrir des « universités ouvrières » (alphabétisation, cours de formation ou de perfectionnement).

Les syndicats se dotent aussi d'une dimension mutualiste. En Allemagne, dans les années 1870, les Hirsch Duncker créent des caisses de maladie et d'invalidité et on voit même la naissance d'une union générale d'assistance des ouvriers allemands[réf. nécessaire]. En France, le mutualisme marque grandement le premier congrès national ouvrier à Paris en 1876[réf. nécessaire]. Cette caractéristique « communautaire » est un peu moins vraie au Royaume-Uni où les syndicats se définissent plutôt comme des « associations permanentes de salariés qui se proposent de définir ou d'améliorer leur contrat de travail »[réf. nécessaire].

Moyens d'action contre le patronat

Très vite, les syndicats, au-delà de l'aspect communautaire hérité des anciennes fédérations de métiers deviennent des lieux de revendications et des catalyseurs de l'action ouvrière. L'Europe de l'Ouest dans ces années-là est le théâtre du mouvement ouvrier très militant. Conscients de leur importance, les syndicats s'engagent dans l'action contre le patronat. Négociations dures, boycottage se heurtent cependant très vite à de nombreux obstacles sauf peut-être au Royaume-Uni où le dialogue semble bien plus aisé notamment grâce au caractère peu idéologique de son syndicalisme et donc à sa souplesse politique.

Rapidement, la grève et les autres manifestations deviennent des vecteurs d'expression courants de la classe ouvrière. Certes, la grève existait auparavant mais jamais elle n'a pris une telle ampleur.

Ainsi, le Royaume-Uni connaît en 1889 et 1890 plus de mille grèves annuelles dont notamment celle des 40 000 dockers de Londres en 1889 qui paralysa la capitale et frappa sévèrement l'opinion européenne[réf. nécessaire].

La France de son côté, qui dans la décennie 1870 n'avait connu que 841 grèves, en affronte dans les années 1880 plus de 1 800[réf. nécessaire]. Ces grèves sont aussi plus longues et plus massives : 14 jours de durée et 400 à 500 grévistes en moyenne dans la décennie 80 contre 9 jours et 200 grévistes dans la décennie précédente[réf. nécessaire]. Ce sont des grèves comme celles des mines d'Anzin en 1884 qui regroupent 40 000 grévistes pendant 46 jours ou celle des mines de Decazeville en 1886 où le sous directeur est tué1. Sans doute faut-il y voir la conséquence d'une meilleure organisation[réf. nécessaire]. À partir de 1880, plus de 50 % des grèves sont organisées[réf. nécessaire], c'est-à-dire non spontanées, et les syndicats y jouent un rôle grandissant. En France, par exemple, à partir de 1887, les syndicats se manifestent dans 30 à 40 % des conflits contre 10 à 15 % entre 1871 et 1877,[réf. nécessaire] et quand bien même ils ne les organisent pas, ils en sont très souvent à l'origine[réf. nécessaire].

L'Allemagne connaît elle aussi des grèves comme celle des mineurs en 1889 qui provoqua l'intervention de l'empereur Guillaume II et s'acheva sur un compromis[réf. nécessaire], et, même si les années 1990 accordent plus de place à la négociation directe et aux conventions collectives, les grèves demeurent de plus en plus nombreuses : 73 en 1892, 204 en 95 et 852 en 1900[réf. nécessaire].

Le principe de la grève générale est adopté par nombre de syndicats durant la décennie 1880 en Europe occidentale sous l'impulsion des congrès internationaux ouvriers[réf. nécessaire] : des villes entières sont parfois immobilisées, des branches complètes de l'industrie, des régions. Les manifestations se multiplient également notamment celle du 1er mai décidée en 1889 par la IIe Internationale. Les revendications sont généralement liées aux salaires, à la durée du travail, aux indemnités pour les victimes d'accidents du travail ou même au chômage. Mais la grève est aussi un instrument de conquête pour les mouvements marxiste ou anarchiste[réf. nécessaire]. Le 1er mai 91, à Carmaux, un appel est lancé :

« (...) debout Travailleurs ! à partir de ce moment ne comptons que sur nous-mêmes pour la conquête de nos revendications », [réf. nécessaire]

le reste s'articulant autour de la thématique de l'exploitation par les classes bourgeoises. Le 1er mai 1890 est l'occasion pour les anarchistes de rappeler dans un tract que « de la Grève Générale sortira la Révolution qui ne laissera sur terre que des hommes égaux et libres ». [réf. nécessaire]

La réponse patronale et gouvernementale

Les ouvriers qui n'acceptent pas les conditions de travail s'organisent et s'opposent aux patrons. Leurs armes : la grève et la création de syndicats. Des personnes, souvent des bourgeois, proposent de transformer la société : ce sont les premiers «socialistes». D'importantes grèves ouvrières marquent le XIXe siècle. Les ouvriers disposent d'un moyen pour s'opposer aux exigences des patrons, sans attendre le vote de lois toujours longues à venir: ils arrêtent de travailler, ils font grève. Jusqu'en 1864, la grève est interdite: non seulement les grévistes perdent leur salaire, mais en plus, ils risquent d'être arrêtés, jugés et emprisonnés. En 1864, Napoléon III accorde le droit de grève. La première grande grève du XIXe siècle, est celle des canuts, à Lyon, en novembre 1831. Les canuts sont des ouvriers qui travaillent la soie à domicile, pour des patrons, les soyeux. La grève éclate pour une question de salaire horaire. Les patrons ayant tiré sur la foule et fait huit morts, les grévistes s'arment à leur tour; ils occupent la ville. L'armée vient à bout de leur insurrection. L'histoire sociale du XIXe siècle est marquée par des grèves, dont certaines très importantes : celle des mineurs d'Anzin en 1884, des verriers de Carmaux en 1895, des ouvriers de la chaussure de Fougères en 1907.

Si les syndicats ont été reconnus dans les trois pays étudiés par l'État, ce dernier n'est pas devenu pour autant favorables aux syndicats. Patrons et gouvernements craignent à court terme des conséquences économiques : destruction de l'outil de production, arrêts de travail, baisse de cadence, immobilisation d'industrie entière... - on se rappellera à cet effet le blocus de Londres par les dockers en 1889 - et surtout à long terme, et plus particulièrement en France, la progression du marxisme.

Les patrons mettent souvent à l'index les ouvriers syndiqués : « dans l'arrondissement de Valenciennes, des métallurgistes fermèrent leurs ateliers pendant plusieurs jours, puis les rouvrirent en disant aux ouvriers qu'on les recevrait s'ils remettaient leurs livrets de syndiqués. Un industriel ayant ainsi recueilli ces livrets les fit brûler en un tas dans la cour de l'usine ».

Ainsi lors des grèves, le patronat fait-il souvent appel à des non-grévistes venus souvent d'autre ville mais il peut aussi intimider les grévistes de manière plus ou moins brutale. Par exemple, en France, en mai 1881, la direction de l'usine Hotchkiss de Saint-Denis, après avoir tenté de briser le mouvement en employant un personnel extérieur, placarde sur tous les murs de l'établissement l'avis suivant :

« Messieurs les ouvriers sont informés que ceux d'entre eux qui ne seraient pas disposés à reprendre leur travail le lundi 28 courant seront considérés comme ne faisant plus partie de l'établissement. » [réf. nécessaire]

De même, un ouvrier du Creusot interviewé en 1892, ajoutera en parlant des grèves : « Dans le temps, il y a eu des réunions socialistes ici. Tous les ouvriers qui y sont allés ont été balayés. Tous ! Pas ensemble, mais un par un, pour une raison ou pour une autre. À présent, on se méfie ». [réf. nécessaire]

Car s'il existe désormais un cadre légal au syndicalisme, le licenciement demeure toujours libres. Le mouvement ouvrier souffrent des mêmes intimidations au Royaume-Uni et en Allemagne (de 1878 à 1881, de très nombreux syndicats seront dissous). Mais ce sont surtout les interventions armées qui montrent bien jusqu'à quel point l'opposition peut se manifester. Les descriptions de Zola dans Germinal sont assez explicites quant à la violence des interventions qui ponctuent régulièrement les agitations sociales. Lors des grèves de Decazeville, le ministre de la Guerre d'alors, le général Boulanger, accroît sa popularité en refusant de faire intervenir la troupe. Et les syndicats français n'oublieront pas les 9 morts du 1er mai 1891 à Fourmies (Nord).

Les différentes voies du syndicalisme européen

Avant d'aborder plus précisément chacun des trois pays les plus industrialisés, Allemagne, Royaume-Uni et France, il est intéressant de dresser un tableau des différentes voies du syndicalisme et surtout d'en mettre en relief les facteurs déterminants, ou la typologie.

Typologie syndicale

Les mots même utilisés pour désigner les organisations insistent sur tel ou tel aspect de la réalité syndicale :

trade-union au Royaume-Uni c'est-à-dire union de métier tout simplement ;
syndicat en France c'est-à-dire groupement ayant un représentant - le syndic - (le mot syndicat désigne un groupement d'ouvriers à partir de 1839) ;
Gewerkschaft en Allemagne c'est-à-dire membre d'une profession et, à partir de 1868, organisation d'ouvriers industriels.

Derrière ces dénominations foisonnent une multitude de courants politiques : révolutionnaire, réformiste, socialiste, fabien, communautaire, sociétaire. trois principales lignes de partage peuvent être distinguées :

– distinction communautaire-sociétaire ;
– l'analyse de l'opposition au syndicalisme (adversaires et intensité) ;
– et le rapport au politique.

L'aspect communautaire se distingue de l'aspect sociétaire qui décrit des syndicats constitués en vue de fins précises telles que l'amélioration des conditions contractuelles de l'emploi. On passe ainsi du registre des sentiments à celui des intérêts. La forme de syndicalisme dans laquelle l'aspect sociétaire prédomine est celui qui recrute principalement parmi les ouvriers d'origine urbaine qui, contrairement aux prolétaires « déracinés », n'ont pas à rétablir de lien affectif[réf. nécessaire].

Mais tous les syndicalismes sont dans l'ensemble marqués par une évolution au cours de leur histoire.

  • Historiquement, les premiers syndicats ont été formés par des minorités d'ouvriers qualifiés et ont pris presque aussitôt un aspect sociétaire[réf. nécessaire].
  • Après une période de premiers combats, s'ensuit une seconde phase du mouvement ouvrier qui a trait à la reconnaissance effective de droit de se syndiquer par le patronat. Ici deux situations sont possibles : ou bien il s'agira d'un syndicalisme sociétaire de minorités d'ouvriers qualifiés luttant pour leur propre compte, ou bien il y aura aussi un syndicalisme de type communautaire ouvert au grand nombre[réf. nécessaire].
  • La dernière phase du mouvement correspond à l'évolution du syndicalisme de type communautaire, ouvert aux non-qualifiés, vers le type sociétaire réunissant cette fois le grand nombre des salariés dans une société où l'urbanisation est suffisamment ancienne pour que la majorité des ouvriers soient d'origine urbaine[réf. nécessaire]. Néanmoins, malgré cette évolution, l'on distingue de grandes disparités entre les pays : dans les années 1880, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont fortement sociétaires tandis que le syndicalisme français a un esprit toujours très communautaire[réf. nécessaire].

Ce schéma assez sommaire peut être complété par une seconde approche axée sur les obstacles à la croissance du syndicalisme.

  • Lorsque l'opposition vient principalement des pouvoirs publics, le mouvement ouvrier qui en résulte est plus ou moins fortement politisé et s'allie avec les partis qui soutiennent ses revendications. Il partage dans une certaine mesure, le sort des autres opposants, ce qui peut aller jusqu'à la clandestinité révolutionnaire. Ainsi, les régimes autoritaires génèrent-ils des syndicalismes combatifs voire révolutionnaires.
  • Au contraire, des régimes démocratiques faisant toute leur place au syndicalisme facilitent l'éclosion de syndicalismes contestant moins l'ordre politique et social, comme au Royaume-Uni. Mais un État, même démocratique, peut manifester un excès de sévérité à l'égard des actions syndicales, comme en France dans les premières décennies de la IIIe République, contribuant à conforter ainsi les courants syndicalistes révolutionnaires. Si l'opposition au syndicalisme vient non plus des pouvoirs publics, mais des patrons, le mouvement ouvrier correspondant revêt alors un caractère plus professionnel que politique.

Concernant la distinction qui tient au rapport du syndicat avec le politique, trois modèles politico-syndicaux se dessinent alors.

  • Le modèle marxiste affirme la supériorité du parti politique sur le syndicat qui ne devient plus qu'un « mécanisme de transmission » entre le parti et les masses.
  • Le modèle britannique, quant à lui, s'est affirmé d'abord en dehors des partis. L'originalité de ce syndicalisme est qu'il a créé son propre parti politique comme nous le verrons plus loin. Le parti est alors le prolongement parlementaire des trade-unions.
  • Enfin, le modèle français est un syndicalisme révolutionnaire qui réalise la synthèse entre l'anarchisme et différentes écoles socialistes dont le blanquiste. Ici, le syndicat assume la lutte économique et la lutte politique.

Deux grands groupes peuvent être dégagés de cette typologie :

  • un syndicalisme de revendication et de contrôle qui accepte la société capitaliste mais veut en obtenir le maximum d'avantages en la contrôlant, ce sont les formes britanniques, scandinaves ou allemandes d'un syndicalisme réformiste et politisé de façon modérée.
  • un syndicalisme de revendication et d'opposition révolutionnaire qui se définit comme un syndicalisme de lutte de classe, internationaliste, bâti sur un projet de changement de la société. Appartiennent à ce dernier type : la forme anarchiste, communiste, syndicaliste-révolutionnaire.

Trois syndicalismes d'Europe occidentale

L'originalité britannique : trade-unions et travaillisme

C'est au Royaume-Uni que la révolution industrielle est la plus précoce puisqu'elle commence aux alentours de 1760 (quand le pays était la Grande-Bretagne). Il ne faut donc pas s'étonner d'y trouver bien avant 1880 un embryon de syndicalisme. Dès le début du XIXe siècle, apparurent des unions de métiers quasi-secrètes imprégnées de radicalisme politique et parfois même d'une pensée presque socialiste. Malgré une opposition gouvernementale assez brutale, les ouvriers obtiennent en 1824 grâce notamment à l'action des radicaux de grandes avancées sociales : légalisation des trade-unions, droit de grève, etc. Jusqu'à 1850, le syndicalisme se développe avec ses hauts et ses bas mais restera toujours marqué par la pensée socialiste modérée de Robert Owen. 1834 est certainement l'apogée de ce syndicalisme très corporatiste avec la fondation de la « Grande Union nationale » consolidée des métiers qui compta peu après 500 000 membres et dont l'ambition consiste à remplacer le capitalisme par un système coopératif sous contrôle ouvrier. Néanmoins, cette époque reste plutôt celle du chartisme et de son action politique pour le suffrage universel avec les masses ouvrières... mais sans les syndicats. On voit bien combien l'ensemble du peuple britannique est attaché à la démocratie et au progrès social par le politique. Des années 1850 jusqu'à 1880, le trade-unionisme devient davantage sociétaire et l'accélération de l'économie le transforme en syndicalisme d'industrie et non plus simplement de métier. 1868 sera la création du trade unions congress qui verra ses effectifs atteindre le million en 1874. Fort d'une représentativité accrue, le syndicalisme britannique entend alors pousser plus loin l'avantage que lui donnent tout à la fois le nombre de ses adhérents et sa combativité dans les entreprises. C'est davantage un combat par la politique qu'il compte mener et la modernité de la démocratie britannique et la réforme électorale de 1867 y contribuèrent grandement. Dès 1868, les syndicats apportent leur soutien aux candidats libéraux et très vite les syndicalistes eux-mêmes gagnent les milieux politiques : deux députés syndicalistes siègent en 1874 et 11 en 1885.

La décennie 1880 correspond à la fois à une véritable explosion syndicale stimulée par la reprise économique et par le charisme de certains jeunes dirigeants et par une extension encore plus marquée du milieu ouvrier vers la politique[réf. nécessaire]. Cette extension prend sa source dans le socialisme non marxiste prôné par la Société fabienne qui a fait le choix d'un socialisme gradualiste et d'une méthode temporisatrice, mais cette extension correspond aussi au désir d'aller au-delà de ce courant jugé trop intellectuel. 1893 verra la fondation du parti travailliste indépendant présidé par James Keir Hardie qui s'oriente d'emblée vers l'action parlementaire. L'aboutissement en sera la création en 1900 du futur Labour Party qui symbolise la spécificité du Royaume-Uni en matière de lutte ouvrière.

Comme l'a bien souligné Tawney, le socialisme britannique reste absolument indissociable de l'histoire syndicale, et contrairement à ce qui se passa sur le continent le Labour Party est pour une bonne part l'œuvre des syndicats eux-mêmes qui aujourd'hui encore lui donnent les moyens de vivre. La voie britannique du socialisme se distingue de celles du Continent par son réformisme décidé fait d'empirisme et d'un certain scepticisme à l'égard des idéologies qui ont constitué des obstacles durables à l'implantation du marxisme en terres britanniques[réf. nécessaire]. S'il fallait résumer, c'est donc un syndicalisme réformiste qui s'est développé au Royaume-Uni, cherchant davantage à lutter par la négociation et les manifestations – la souplesse politique du XIXe siècle y compta beaucoup – essentiellement pour les salaires ou les conditions de travail et non pour changer la société. Ce syndicalisme dans la décennie 1880 est marqué par un renouveau avec une conquête politique importante et une « décorporatisation » affirmée.

Le syndicalisme réformiste allemand

Jusqu'aux années 1880, le syndicalisme allemand reste plutôt à l'état embryonnaire. Il est vrai que le contexte global ne s'y prêta guère notamment à cause d'une industrialisation plus tardive qu'en Grande-Bretagne et en France et de l'opposition assez violente des classes dirigeantes[réf. nécessaire]. Toutefois, des tendances se dessinent qui influeront ultérieurement sur les orientations du syndicalisme allemand.

Les années 1860 correspondent à l'obtention du droit de grève et de syndicalisation. Des unions se créent autour de trois grands courants de pensée que sont les lassaliens qui fondent la Ligue des Syndicats Allemands en 1868, les libéraux qui prônent plutôt un syndicalisme « à la britannique » et les marxistes. Pourtant, il n'y eut guère d'essor du syndicalisme et ce, à cause des nombreuses difficultés de tous ordres auxquelles il fallut faire face : l'opposition aux grèves, la guerre franco-prussienne de 1870-71, la crise économique en 1873-74 et surtout la politique de répression décidée par Bismarck et ses nombreuses lois d'exception contre le socialisme de 1878 à 1881. Des syndicats furent dissous ou moururent d'eux-mêmes, ceux qui restaient n'étant plus que des organisations tournées vers les œuvres d'assistance.

Ce n'est vraiment que dans les années 1880 et surtout 1890 que l'Allemagne assiste à une montée en puissance des syndicats. Bismarck se lance dès 1881 dans une politique de séduction, avec de nombreuses lois sociales, la croissance économique est fulgurante et la croissance démographique tout aussi impressionnante avec une urbanisation galopante[réf. nécessaire]. Toutefois, pour ce faire, le syndicalisme naissant aura d'abord à faire sa place aux côtés d'une social-démocratie toujours très forte qui constitua longtemps une solution de rechange et considéra souvent les organisations ouvrières avec commisération. Ce n'est que vers la fin du siècle et à la suite d'une augmentation impressionnante de ses adhérents, que la Commission générale des syndicats, d'esprit de plus en plus sociétaire, a été en mesure de prendre ses distances vis-à-vis du parti. Ainsi, aux élections de 1893, la social-démocratie obtient huit fois plus de voix que la Commission générale des syndicats n'avait de membres; en 1903, le rapport n'était plus que de 3 à 1 ; enfin, en 1907, le parti totalisa 4 250 000 électeurs et la Commission générale compta 2 530 000 adhérents[réf. nécessaire]. Au début de ce siècle, le syndicalisme allemand devient une force de négociation et un partenaire politique de premier plan.

L'Allemagne connaît dans l'ensemble un syndicalisme massif – 2,5 millions d'adhérents à la Commission générale en 1907 ! – caractérisé par un lien étroit à la politique par l'intermédiaire de la social-démocratie sans s'y subordonner pour autant, privilégiant dialogue et consensus, démarche que l'on retrouve encore largement aujourd'hui et qu'adoptera le syndicalisme chrétien apparu en terres germaniques dès 1899. Typologiquement parlant, ce syndicalisme s'apparente donc davantage à celui du Royaume-Uni tout en se différenciant nettement sur certains aspects, notamment le rapport au socialisme et à la politique.

L'exemple français : un syndicalisme imprégné de politique

Le syndicalisme français se distingue des cas allemand et britannique. Il est en effet bien plus marqué par les idéologies et sa philosophie révolutionnaire le rapproche des cas espagnol et italien. Il faut y voir essentiellement l'empreinte d'une naissance très mouvementée au gré de la vie politique française agitée voire violente du XIXe siècle.

Jusqu'aux années 1880, le mouvement ouvrier français se met en place très lentement, car les difficultés sont très nombreuses. La loi Le Chapelier de 1791 condamne toujours toute association de maîtres ou d'ouvriers. La surveillance est très sévère et l'on assiste à de véritables carnages[réf. nécessaire] lors de grèves et manifestations souvent mal organisées. La révolte des Canuts de Lyon se solde en 1831 par 600 morts, 200 ouvriers sont tués à Lyon et la rue Transnonain est le théâtre d'un massacre à la suite de l'annonce d'un projet de loi interdisant toute association, les grèves de la Ricamarie en juin 1869 s'achèvent elles aussi de manière sanglante.

Mais ce sont surtout les répressions politiques qui frappent le plus les milieux ouvriers, principaux artisans des révolutions du XIXe siècle. La Révolution de 1830 est en grande partie un révolution ouvrière, mais plus encore celle de février 1848[réf. nécessaire]. L'insurrection qui suivra en juin 1848 anéantit finalement les espérances. Deux tiers des émeutiers arrêtés sont des ouvriers[réf. nécessaire]. Et durant tout le Second Empire, malgré les avancées de Napoléon III dans les années 1860 qui relèvent davantage de la stratégie de séduction[réf. nécessaire], l'ouvrier « organisé » reste toujours suspect aux yeux de l'État et des patrons. Les grèves se multiplient néanmoins, mais les oppositions restent dures. Ce furent la Révolution de 1870 et la Commune de 1871 qui voient les ouvriers imprimer profondément leur marque : dans le conseil de la Commune, on compte 33 ouvriers pour 80 membres[réf. nécessaire]. La répression versaillaise n'aura pas seulement décapité l'organisation ouvrière naissante, mais elle aura joué aussi, au même titre que juin 1848, un rôle considérable dans la formation de sa psychologie car elle s'est produite à un moment décisif de cette naissance. Selon Jacques Rougerie, « le Communard appartient à la préhistoire du mouvement ouvrier ». La décennie qui suivit l'échec de la Commune de Paris fut incontestablement difficile pour le mouvement syndical français. Les conditions politiques avec la domination des monarchistes ne sont guère favorables. Les chambres syndicales sont sous la menace permanente d'interdiction. Sont alors dissous, en 1872, le Cercle de l'union syndicale de Paris et en 1877 les chambres syndicales lyonnaises. La crise économique de 1873 constitue bien sûr un autre handicap. Les choses changent à partir de 1877-78 avec l'arrivée des républicains. Le retour des Communards amnistiés en 1880 conforte au sein des sociétés ouvrières les tendances révolutionnaires et combatives. Puis très vite tout s'accélère, notamment avec les réformes du gouvernement. La loi du 21 mars 1884 accorde enfin aux syndicats un statut légal reconnu : le nombre de syndicats est ainsi multiplié par trois en une décennie. Mais les oppositions apparaissent au grand jour.

Par l'environnement même (politique, social, économique) l'aspect idéologique tient une place fondamentale dans le syndicalisme français, caractérisé en outre par une frontière extrêmement floue avec les partis politiques créés par les politico-syndicalistes (Jules Guesde crée le Parti ouvrier français, les blanquistes fondent en 1881 le Comité révolutionnaire central, etc.). Les années 1870 et 80 sont fortement marquées par des oppositions de courants : collectivistes, mutuellistes, anarchistes, blanquistes, guesdistes, possibilistes, etc. L'essor du syndicalisme dans l'avant-dernière décennie du siècle se fait dans la division, essentiellement entre la Fédération des chambres syndicales créée en 1886 par des militants guesdistes et qui reste très subordonnée au Parti ouvrier français et la Fédération des Bourses du travail fondée en 1887, animée par un militant venu de l'anarchisme et qui s'affirme « fédéraliste » au sens de Proudhon, autonome à l'égard des partis politiques. L'opposition dure jusqu'à la naissance de la Confédération générale du travail en 1895 qui reste toujours empreinte d'un esprit révolutionnaire dont l'ambition demeure de façonner la société future et dans lequel on peut discerner sinon une influence directe du moins « une correspondance » assez sensible sur certains points avec les idées de Proudhon[réf. nécessaire].

Le syndicalisme français est complexe et moins « monolithique » que ses voisins allemands et britanniques. Traversé en permanence par des courants idéologiques multiples et contradictoires, il s'affiche à ses débuts ouvertement révolutionnaire même si, à la marge, certains seraient tentés par plus de modération et de réformisme. La prégnance de la pensée marxiste et anarchiste est liée étroitement aux révolutions et répressions dont les milieux ouvriers furent à la fois les acteurs et les victimes.

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27 février 2013

LA REVOLUTION INDUSTRIELLE

Révolution industrielle

introduction

La révolution industrielle, expression créée par Adolphe Blanqui1, reprise et popularisée par Friedrich Engels et par Arnold Toynbee, désigne le processus historique du XIXe siècle qui fait basculer – de manière plus ou moins rapide selon les pays et les régions – une société à dominante agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. Cette transformation, tirée par le boom ferroviaire des années 1840, affecte profondément l'agriculture2, l'économie, la politique, la société et l'environnement.

Certains historiens contestent la validité scientifique de cette expression :

Pour Werner Sombart (Le Capitalisme moderne, 1902) la « révolution industrielle » est un phénomène ancien qui commence en fait à Florence au XIVe siècle avec l'émergence de la civilisation bourgeoise.

Fernand Braudel fait observer que le caractère brutal qu'implique le terme de « révolution industrielle » ne peut a priori s'appliquer qu'au Royaume-Uni. Tandis que pour les autres pays, le terme d'industrialisation qualifie mieux un processus en réalité assez progressif.

Définition

La «  révolution industrielle » se caractérise par le passage d'une société à dominante agricole et artisanale à une société commerciale et industrielle dont l'idéologie est technicienne et rationaliste4.
Les « révolutions industrielles » (au pluriel) désignent les différentes vagues d'industrialisation qui se succèdent dans les différents pays à l'époque moderne, car la révolution industrielle émerge en réalité de façon décalée dans le temps et dans l'espace selon les pays.

Les premiers espaces à s'être industrialisés sont la Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle, puis la France au début du XIXe siècle : ce sont les pays de la première vague.
L'Allemagne et les États-Unis s'industrialisent à partir du milieu du XIXe, le Japon à partir de 1868 puis la Russie à la fin du XIXe : ils forment les pays de la deuxième vague.

Les transformations économiques, politiques et sociales sont telles que certains, comme Max Pietsch5 et David Landes6, veulent y voir une rupture avec le passé.
D'autres pointent plutôt la convergence d'éléments que le contexte historique favorise et diffuse au XIXe siècle. Karl Polanyi, dans La Grande Transformation (1944), expose notamment l'idée d'un siècle marqué par :

  1. un équilibre politique international : absence de grandes guerres entre 1815 et 19147 ;
  2. un équilibre monétaire : système de l'étalon-or et absence d'inflation ;
  3. un équilibre économique : acceptation de l'économie de marché.

Sans méconnaitre l'impact colossal des transformations portées par la révolution industrielle, (voir par exemple l'expression « Rerum Novarum » employée par le Pape Léon XIII dans son encyclique éponyme: Un ensemble de «choses nouvelles» forment un mouvement économique et social inédit et déconcertant qui pose la question sociale), certains éléments assurent une certaine continuité entre les périodes pré-industrielles et industrielles. Walt Whitman Rostow est l'un des premiers à rendre compte8. Franklin Mendels parle d'une situation de « proto-industrialisation » dans de nombreuses régions d'Europe9 et p. Léon note l'existence de « nébuleuses industrielles » antérieures au XIXe. De même, Bernard Rosier et Pierre Dockès10 montrent que l'avènement du factory system fait suite à l'expérience antérieure du manufactory system et Alexander Gerschenkron note que la révolution industrielle est surtout le résultat d'obstacles économiques, politiques et sociaux qu'opposaient les sociétés traditionnelles et surmontés par chaque État. Enfin, Fernand Braudel note : « Il n'y a jamais entre passé -même lointain- et présent de discontinuité absolue, ou si l'on préfère de non contamination. Les expériences du passé ne cessent de se prolonger dans la vie présente ». Ainsi, de nombreux auteurs situent le début de la révolution industrielle à la fin du Moyen Âge ou au début de la Renaissance. Paul Mantoux parle de l'existence d'un capitalisme industriel dès le milieu du XVIe siècle, mais la révolution industrielle en soi date, selon lui, du XVIIIe siècle11.

Industrialisation massive : panorama sur les usines sidérurgiques Carnegie à Youngstown dans l'Ohio.

Avant la révolution industrielle

De la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle, la société est largement féodale et presque exclusivement agricole. À l'exception de certaines régions, comme les Flandres, l'agriculture est encore peu productive et marquée par l'archaïsme féodal. La pratique de l'assolement triennal reste la règle et les champs sont exploités de façon collective, l'absence de clôtures permettant le mouvement du bétail d'un terrain à l'autre. L'Europe connait plusieurs phases de croissance démographique et de prospérité économique qui sont toujours entrecoupées par des crises profondes : épidémies, guerres et disettes. La mortalité infantile est élevée, l'alimentation est essentiellement à base de céréales12. L'hygiène reste désastreuse : les carences sont attestées par des déformations et autres marqueurs d'innombrables maladies relevées sur les squelettes de l'époque.

Toutefois, les premières associations capitalistes apparaissent dès la Renaissance en Hollande et dans le Nord de l'Italie. Les techniques enregistrent d'importants progrès : navigation, imprimerie, horlogerie et méthodes financières. Les foires qui se développent dans certaines régions d'Europe attestent de l'existence d'échanges se situant dans une économie de marché plus élargie. Ces volumes demeurent cependant modestes dans le total des échanges pratiqués par les populations.

L'usine, au sens moderne, est inexistante. Les manufactures établies par le pouvoir royal, en France notamment, (voir l'exemple de Villeneuvette) restent une activité d'exception. Cependant, certaines formes d'organisations basées sur une sous-traitance à domicile (putting-out system) – comme l'établissage dans l'industrie horlogère – annoncent la révolution industrielle ; les marchands commencent à fournir les paysans en matières premières, parfois en outils, en vue de récupérer ensuite un produit transformé qu'ils revendront en ville . Les paysans en tirent un complément de revenu. Ce mode de vie n'est donc plus tout à fait le servage mais n'est pas encore le salariat. C'est un mélange inédit d'agriculture et d'artisanat : l'économie moderne est en germe. Ainsi l'avènement des indiennes de coton dont la fabrication implique la mise en œuvre de processus techniques complexes provoquent le développement d'une proto-industrie dans plusieurs régions d'Europe au XVIIIe siècle.

D'après les calculs d'Angus Maddison, l'Europe occidentale connait, de 1500 à 1800, une croissance démographique de 0,14 %, soit un taux faible mais déjà supérieur à ceux des autres régions du monde (0,02 %). C'est donc dès le XVIIIe siècle que l'Europe commence à creuser l'écart économique avec le reste du monde. Cette avance reste limitée13 et si l'Europe occidentale n'est pas plus riche que le reste du monde, elle commence déjà à le dominer : les grandes compagnies de commerce profitent du renouveau des techniques maritimes, pour se rivaliser, prendre le contrôle des mers et des comptoirs d'escale ou d'approvisionnement. Ce commerce au long cours s'intéresse à l'origine surtout aux produits de luxe : activité très risquée mais qui procure à ceux qui y investissent des profits considérables14. L'idée d'investissement de rapport se diffuse d'abord chez les financiers qui se lancent dans le négoce, puis chez des négociants qui réussissent à s'autofinancer ou à trouver les moyens de se financer : création et développement des banques, des bourses et des associations de « capitalistes » dans les pays du Nord de l'Europe.

Patrick Verley3 insiste sur la continuité du phénomène, le moteur de la croissance de l'industrie, à la fin du XVIIe siècle, résidant d'abord dans le dynamisme de la demande de biens de consommation, qui stimule en retour le progrès technique.

Structures sociales, économiques et politiques

Évolution de la société

Dès le XVIe siècle, la Réforme protestante conduite par Martin Luther et Jean Calvin secoue l'Europe tout entière. Le protestantisme porte en lui les germes de ce qui constitue un « terreau » de valeurs qui révolutionnent la conception du travail et de la vie. En effet, d'après Max Weber, le travail n'a pas à être considéré comme le châtiment expiatoire du pêché originel comme le rapporte l'éthique catholique. C'est au contraire une valeur fondamentale au travers de laquelle chacun s'efforce de se rapprocher de Dieu15. À la suite de la révocation de l'édit de Nantes, par l'édit de Fontainebleau de 1685, la France se prive du savoir-faire et des capitaux des protestants, les huguenots, qui fuient vers les Provinces-Unies (aujourd'hui les Pays-Bas), les Pays germaniques (Saint-Empire, Suisse, etc.) et l'Angleterre16 ; c'est-à-dire vers les pays protestants.

L'évolution des idées est également marquée par la dimension prise par la bourgeoisie au sein de la société. Il est notable que l'expansion économique précoce se fait souvent dans un contexte politique déjà en partie affranchi du féodalisme. Venise, en Italie du Nord, est dominée par les marchands et les Provinces-Unies ainsi que l'Angleterre se sont dotées d'un régime parlementaire.

Transformation de l'entreprise

Peinture de Hendrick Cornelisz Vroom réalisée vers 1600, montrant le départ de voiliers de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Le capitalisme ne naît pas avec la révolution industrielle ; dès la fin du Moyen Âge, l'historien Fernand Braudel note que les activités du capitalisme marchand et financier sont déjà largement développées dans le nord de l'Italie, les Pays-Bas ou l'Allemagne du Nord.

Dès le XVIIe siècle, les grandes compagnies commerciales maritimes, comme la Compagnie anglaise des Indes orientales (1600) ou la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (1602), préfigurent l'« entreprise » moderne. Elles constituent en effet les premières entités à explicitement viser le profit monétaire et, pour ce faire, à savoir mobiliser hommes, capitaux et moyens matériels (navires) pour exploiter les nouvelles connaissances géographiques et les progrès technologiques : boussole, sextant, etc.

Durant cette ère préindustrielle – ou « proto-industrielle » selon l'expression de Franklin Mendels – des « nébuleuses industrielles17 » comme en Flandres au XVIIe siècle apparaissent dans lesquelles se développent des formes embryonnaires d'entreprises pour contourner les règles corporatives. Les premières formes juridiques d'entreprises reposant sur la libre association de sociétaires voient le jour, notamment la société en commandite.

L'ampleur des besoins financiers engendrés par la révolution industrielle pose rapidement la question de l'accumulation primitive du capital et consécutivement celle du financement par l'appel à l'épargne publique ou aux capitaux extérieurs. Jusque-là, les « investisseurs » associés au sein de sociétés en nom commun (SNC) découpées en parts non négociables, et non en actions, ont la qualité juridique de « commerçants » et sont, à ce titre, responsables sur leurs biens propres. Les premières sociétés de capitaux comme les sociétés en commandite par actions (actions négociables à la Bourse) remontent en France au Code du commerce de 1807, mais restent marginales18. Or au XIXe siècle, la révolution industrielle requiert – comme dans les chemins de fer – une importante concentration de capitaux en vue de financer des investissements de plus en plus couteux. Une nouvelle forme juridique d'entreprise, la société anonyme (SA) facilite les apports en capitaux de plusieurs investisseurs : ceux-ci n'engagent leur responsabilité qu'à hauteur des montants investis, ce qui limite les risques.

Ainsi en Angleterre, la mise en place des joint stock companies (JSC) fait suite à l'abrogation du «Bubble Act» en 1825 et au «Joint Stock Companies Act» de 1856.
Ainsi en France est instaurée la société anonyme après les lois de 1863 et 1867 (et en Allemagne en 1870). D'après François Caron19 11,4 % des sociétés créées en France entre 1879 et 1913 le sont sous la forme des sociétés anonymes .

Libéralisme à l'aube de l'industrialisation

La réflexion sur le rôle de l'État dans l'économie, les thèmes du libre-échange et du protectionnisme sont l'objet d'une longue réflexion historique. Au XVIIe siècle, le mercantilisme - « économie au service du prince » - énonce de manière pragmatique et parfois assez formalisée (ainsi le colbertisme en France) les premières considérations et théories économiques censées correspondre aux besoins des nations et royaumes. En 1776, un auteur libéral comme Adam Smith est partisan20 d'un État-gendarme capable d'assurer d'une part des prérogatives régaliennes et d'autre part des fonctions tutélaires. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un État minimal.

Par ailleurs, la division du travail est déjà à l'œuvre depuis au moins un siècle dans les chantiers navals (par exemple, l'arsenal de Venise) et illustrée par les planches de l'Encyclopédie. Elle est source d'efficience et de meilleure productivité. La spécialisation et l'interdépendance qu'elle induit entre un nombre croissant d'agents économiques qui y ont recours rend nécessaire les échanges et contribue à généraliser les pratiques de marché. Vincent de Gournay et le mouvement physiocratique lance au XVIIIe siècle : « Laissez faire les hommes, laissez passer les marchandises ».

Le siècle des Lumières promeut la conception d'un État garant des libertés individuelles, parmi lesquelles, la liberté du commerce et de l'industrie et, son corollaire, la libre concurrence. Concrètement, il s'ensuit en France l'abrogation des corporations à la suite du décret d'Allarde en mars 1791 et l'interdiction de toute coalition à la suite de la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 : « Il n'y a plus de corporations dans l'État ; il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu et l'intérêt général21 ».

En Angleterre, les Combination Acts de 1799 et 1800 engagent un processus similaire. De telles mesures ont un impact décisif sur le processus de révolution industrielle ; d'après Arnold Toynbee « l'essence même de la révolution industrielle est la substitution de la libre concurrence aux règlementations qui, depuis le Moyen Âge, étaient imposées à la production22 ».

Au XIXe siècle alternent des périodes de libre-échange et de protectionnisme. Paul Bairoch observe que « le protectionnisme est la règle, le libre-échange l'exception23 ». Pragmatique, le Royaume-Uni commercialiste avait déjà opté pour des mesures protectionnistes telles le «Navigation Act» de Cromwell en 1651, et réitére en ce sens avec les «Corn laws» de 1815 à la suite de « l'Importation Act ». L'abrogation des «Corn Laws» par le «Peel Act» le 15 mai 1846 constitue, au même titre que l'abrogation du «Navigation Act» en 1849, un tournant fondamental du XIXe siècle.

Ce libéralisme est donc à l'origine de la généralisation du marché au XIXe siècle : celui-ci – autrefois existant mais de manière marginale – devient facteur décisif dans le processus d'industrialisation. Karl Polanyi estime dans La Grande Transformation que le marché fonctionne de manière autorégulée, sans intervention de l'État, entre 1834, date de l'abolition de la loi de Speenhamland consacrant la marchandisation de la main d'œuvre, et 1929, date de la grande crise économique qui provoque le retour et le recours à l'État en vue d'intervenir activement et réglementer le marché.

Progrès scientifiques

La révolution industrielle est aussi le fait de découvertes et innovations qui favorisent l'industrialisation. La « grappe d'innovation » qui survient24, est d'une ampleur telle que la révolution industrielle marque une véritable rupture au niveau des techniques.

Pourtant, de nombreuses industries ne sont pas à proprement parler récentes : Certaines comme l'imprimerie et la soierie remontent au milieu du XVe siècle. Les travaux d'Henri Hauser25 montrent que ces industries ont favorisé l'émergence des premières manufactures dont certaines, en France, sont créées sur décision royale dès le règne d'Henri IV mais surtout sous celui de Louis XIV, influencé par les idées mercantilistes de Colbert.

De même, Lewis Mumford26 considère l'invention de l'horloge comme l'une des premières activités mécaniques, occasionnant le perfectionnement de certaines techniques et favorisant la division du travail (voir en particulier le modèle d'organisation assez remarquable dit de l'« Établissage » en vigueur dans l'Horlogerie du Jura depuis au moins le XVIIIe siècle).

Mutations liées : agriculture et démographie

Révolution agricole

Selon certains historiens comme Georges Duby27, le monde agricole connait une lente évolution amorcée depuis le Xe siècle. Ainsi Olivier de Serres considéré comme le père de l'agronomie française a déjà expérimenté à la fin du XVIe siècle sur son domaine du Pradel (200ha) des techniques nouvelles comme l'assolement. Mais ces nouvelles techniques diffusent lentement et n'évoluent de manière significative qu'à partir du XVIIIe siècle. À cette époque, seules les Provinces-Unies connaissent une forte productivité agricole.
La révolution agricole, soit le bouleversement des techniques, caractérisé par des innovations, va enregistrer un renouveau cette fois dans le sud de la Grande-Bretagne: Dans le comté de Norfolk, à partir de 1720, Charles Townshend expérimente un système nouveau d'assolement continu qui se substitue à l'assolement triennal avec jachère. C'est le début d'une nouvelle vague d'innovations : drainage, marnage, invention du semoir par Jethro Tull en 1701, etc.

Cependant, les mouvements d'enclosure entamés au XVe siècle représentent le bouleversement le plus considérable de l'exercice de la production agricole. La mise en clôture des terres agricoles par les landlords rompt avec le système traditionnel de l'openfield, synonyme de profits collectifs. Les enclosures, inaugurées en Angleterre par les Enclosure acts dès 1760, permettent le remembrement agricole et consécutivement, l'application de nouvelles techniques et l'accroissement de la production de manière significative. Pour Karl Marx, les enclosures privent nombre de ces petits paysans de leur moyen de subsistance, à savoir la culture des biens communaux et contraignent les paysans à un exode rural massif. Ces paysans sans terre migrent vers les villes et leurs faubourgs dans lesquels ils deviennent les premiers ouvriers – ainsi que les premiers prolétaires – de la révolution industrielle. Il s'ensuit le « triomphe de l'individualisme agraire », d'après l'expression de Marc Bloch28.

La France -qui refuse l'agriculture « à l'anglaise »- prend du retard en matière d'innovation agricole. L'historien Jean-Claude Toutain note tout de même que la forte croissance démographique de la France au XVIIIe siècle est alimentée par un accroissement de la production agricole en France de 20 à 30 % par décennie de 1700 à 1780. De même, le marché agricole se développe en France après la Révolution de 1789 qui consacre la libération de la terre, permettant, selon l'expression de Pierre Rosanvallon, de « déterritorialiser l'économie et de construire un espace fluide structuré par la seule géographie des prix »29. Ces éléments remettent en cause l'idée répandue du conservatisme du monde rural, notamment en Europe de l'Ouest. Le monde agricole de l'Europe méditerranéenne et centrale, demeure quant à lui traditionnel notamment en Russie où le servage n'est aboli que le 3 mars 1861.

La révolution agricole, amorcée au début du XVIIIe siècle, va se poursuivre tout au long du XIXe siècle. L'apparition du machinisme agricole, est marquée par la moissonneuse mécanique de Cyrus Mac Cormick en 1824, sa moissonneuse-batteuse en 1834, la charrue de Mathieu de Dombasle en 1837. Les années 1840 voient naitre l'utilisation des engrais artificiels grâce à la chimie (recherches de Justus von Liebig.

Transition démographique

Le principe de la transition démographique.

Les pays ayant connu la révolution industrielle ont également tous connu des mutations démographiques dont la plus importante est la transition démographique. Celle-ci ne se produit pas forcément au même moment que l'industrialisation, ce qui conduit à nuancer les liens entre démographie et révolution industrielle.

La transition démographique correspond à une période de déséquilibre entre les taux de natalité et les taux de mortalité. Avant que ne débute la transition démographique, le régime démographique traditionnel est celui d'une natalité et d'une mortalité fortes qui se compensent.

Les progrès humains se caractérisent par la raréfaction des famines et le meilleur traitement des épidémies, parfois combinés à une absence temporaire de guerre, notamment au XIXe siècle. Les progrès de la médecine jouent un rôle important : vaccination antivariolique de Edward Jenner en 1796, découverte de la morphine en 1806, découverte du bacille de la tuberculose par Robert Koch en 1882, vaccin contre la rage de Louis Pasteur en 1885 etc. Autrement dit, il s'agit du recul des « trois Parques surmortelles » selon l'expression d'Alfred Sauvy30. Ces progrès suscitent, dans le premier temps de la transition, une chute de la mortalité sans que le taux de natalité en soit changé. L'écart important, alors constaté entre la mortalité et la natalité, provoque une hausse importante de la population. Par la suite, des évolutions sociologiques et culturelles, liées à l'évolution des modes de vie, des « mentalités collectives » et de la famille avec l'enfant comme préoccupation centrale d'une famille qui tend à devenir « nucléaire »31, provoquent un recul de la natalité dont le taux tend à converger vers celui de la mortalité.

La transition démographique est alors terminée, et laisse généralement la place à une période de stabilité marquée par une faible mortalité et une faible natalité.

La France est le premier pays à connaitre la transition démographique, au XVIIIe siècle, si bien qu'elle est la nation la plus peuplée d'Europe en 1800, après la Russie. Certains font la corrélation avec la prédominance de l'économie française à la même époque ; le PIB de la France représente 15 % du PIB européen soit 1/3 de plus que le PIB du Royaume-Uni et trois fois plus que celui des États-Unis en 1820. Ensuite, le Royaume-Uni connait à son tour la transition démographique ; sa population est multipliée par 9 entre 1500 et 1900 et passe de 6 à 21 millions d'habitants entre 1750 et 1850. Parallèlement, le Royaume-Uni est le premier pays à s'industrialiser. De même, la population des États-Unis est multipliée par 15 entre 1820 et 1950 et dans le même temps son PIB est multiplié par 14. On voit tout de même que le lien entre essor démographique et industrialisation est complexe puisque la France est le premier pays à entrer en phase de transition démographique mais c'est le Royaume-Uni qui entre le premier dans la révolution industrielle, ce même Royaume-Uni qui entrera par la suite dans le processus de transition démographique.

Trois bouleversements liés

Une batteuse en 1881, un exemple de lien entre industrie et agriculture.

La révolution agricole permet de soutenir l'évolution démographique en permettant la disparition des disettes. L'accroissement de la population a cependant suscité certaines craintes à l'époque. Thomas Malthus soutenait ainsi que la croissance démographique évoluait de manière géométrique (1, 2, 4, 8, 16, 32, etc.) alors que l'agriculture n'évoluait que de manière arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, 6, etc.), d'autant plus que les gains de productivité dans l'agriculture étaient confrontés aux rendements décroissants des terres32.

La transition démographique a elle aussi eu des répercussions sur l'agriculture, elle lui a fourni des perspectives de profit. Par ailleurs, les études d'Ester Boserup montrent que l'accroissement démographique a peut-être mis la population face à des impératifs de productivité, « la nécessité étant la mère de l'invention »33.

Des auteurs comme Paul Bairoch34 et Walt Whitman Rostow considèrent la révolution agricole comme endogène à la révolution industrielle. L'augmentation de la productivité agricole par tête a permis de réduire la part des travailleurs agricoles. Ces derniers étant mis au chômage se sont rendus dans les villes et ont fourni à l'industrie d'importante main d'œuvre, essentielle à son expansion. L'agriculture en évolution a aussi profité d'une mécanisation croissante, qui s'est traduite par des commandes industrielles. L'augmentation du produit brut agricole augmente la rentabilité et la valeur des terres, et permet de dégager des possibilités financières pour l'investissement.

Pourtant, les travaux de Phyllis Deane35 montrent qu'il faut relativiser cette théorie en soulignant le décalage géographique qu'il existe entre les régions où se déroulent la « révolution agricole » et celles où se développent l'industrialisation. Ainsi, le Sud-Est de l'Angleterre, qui connait des progrès en matière agricole, n'est pas la première région d'Angleterre à s'industrialiser. Il existe un décalage similaire, cette fois-ci temporel, entre transition démographique et industrialisation. Ainsi, les régions dont la croissance démographique est importante ne sont pas forcément celles qui connaissent le processus d'industrialisation en premier, comme en Espagne. De même, d'autres régions qui s'industrialisent ne connaissent pas une très forte poussée démographique, comme dans la partie rhénane de l'Allemagne36.

Le décalage est aussi chronologique, selon la Révolution industrielle, de l'économiste Patrick Verley : les progrès agricoles ne sont pas traduits partout par un exode rural, la croissance démographique profitant surtout aux campagnes, où l'on mange mieux et moins cher, meurt moins souvent jeune, et participe plus nombreux aux travaux des champs, complétés par du travail à façon à domicile37. Cette croissance démographique rurale ouvre par contre des débouchés commerciaux à la révolution industrielle. De plus, l'exode rural, quand il a lieu, est souvent orienté vers les Amériques. Quant aux témoignages écrits sur le chômage au XIXe siècle, ils correspondent à des périodes de récession, les chômeurs étant d'ex-ouvriers plutôt que d'ex-paysans. Dans un autre ouvrage également titré La Révolution industrielle (p. 191) Jean-Pierre Rioux note qu'en 1920, la population agricole représente encore 46 % de la population active d'une Angleterre, alors deux fois moins peuplée que la France, relativisant la théorie marxiste de « l'armée de réserve du capital ».

En outre, la théorie selon laquelle les excédents agricoles ont soutenu l'industrialisation est elle aussi à relativiser. En effet, ces excédents ont été réinvestis, pour une large part, dans l'agriculture. En fait, ce sont plutôt les excédents industriels qui se sont dirigés vers l'agriculture, notamment dans de grandes propriétés, parfois au nom du prestige social qui faisait défaut à la bourgeoisie. Toutefois, le rôle de l'agriculture, s'il n'est pas le seul à permettre le processus d'industrialisation, n'en demeure pas moins crucial dans les pays de la première vague38 comme dans ceux de la deuxième vague, notamment le Japon et la Russie.

Première révolution industrielle

Dans une perspective linéaire, à la manière de celle de Walt Whitman Rostow, la première révolution industrielle débute en Angleterre dès le milieu du XVIIIe siècle et en France au début du XIXe siècle ; ce sont les pays de la première vague, qui bénéficient dans le domaine textile de la croissance de la proto-industrie au XVIIIe siècle en Suisse ou en Alsace.

Importance des brevets

Le brevet de la « Hebern single-rotor machine » (machine de Hebern), brevet no 1510441 daté de 1918

La première véritable législation attribuant un monopole pour les inventions apparait à Venise en 1474. Cette loi précise que le monopole est la contrepartie de sa divulgation. Dès cette époque, le brevet a deux fonctions :

  1. protéger les inventeurs contre la concurrence,
  2. informer les innovateurs.

Pour Joseph Schumpeter le brevet est indispensable pour assurer une rente de monopole à l'entrepreneur-innovateur, mais doit rester temporaire. S'il est normal de protéger l'innovateur par une rente de monopole, juste retour de l'investissement et des sacrifices consentis, elle doit rester temporaire pour encourager à innover sans cesse. Toujours selon Joseph Schumpeter, les cycles de croissance de long terme – cycle Kondratieff – s'expliquent par l'existence de périodes de « grappes d'innovations »39 ou d'un processus de « destruction créatrice » : « soit le processus interne au capitalisme qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs »40.

Le parlement britannique transforme les monopoles royaux en brevets dès 1624 : il faut une réelle invention et la durée de vie est limitée à dix ans. Mais les monopoles royaux reviennent dès la restauration britannique41. Le parlement qui gouverne le pays après 1688, lors de la révolution financière britannique, récompense les inventeurs par des concours. Pour montrer l'exemple, il utilise souvent le premier l'invention42. En 1714, il offre 10 000 livres à qui trouve un moyen d'établir les longitudes en mer à un degré près43. L'Angleterre dépose deux fois plus de brevets entre 1690 et 1699 que dans chaque décennie de la période 1660-1690. Le 2 juillet 1698, celui de l'ingénieur Thomas Savery pour le pompage de l'eau dans les mines de charbon, est par exemple annoncé par une publicité dans un journal, puis perfectionné par l'association avec Thomas Newcomen en 1705. La loi est appliquée strictement : en 1718, lors du brevet accordé à James Puckle pour une mitrailleuse, il doit prouver une « spécification ». L'énergie des inventeurs est d'abord très mobilisée par la Royal Navy, sur fond d'aventure coloniale.

L'acceptation du brevet de James Watt en 1769 établit un principe important : un brevet peut être accordé pour l'amélioration d'une machine (à vapeur, celle de Thomas Savery et Thomas Newcomen) déjà connue, et pour des idées et des principes — à condition qu'ils puissent être appliqués concrètement. Le fameux brevet de Richard Arkwright pour des machines de filage fut invalidé en 1777 pour absence d'une spécification adéquate, après dix ans d'existence, alors qu'il améliorait la machine à filer brevetée par l'immigré Huguenot Lewis Paul en 1738 et vantée en 1757 dans un poème du révérend John Dyer44. L'innovation des Premiers entrepreneurs du coton britannique est relancée par le brevet du révérend Edmund Cartwright sur sa tisseuse à vapeur, déposé en 1785 après avoir visité en 1784 l'usine de Richard Arkwright et appris que le brevet expirait.

En France, la première législation sur les brevets est créée en 1791, mais dès 1762, le privilège royal autorisant une production fut ramené à une durée de quinze ans45.

Secteurs clés

Énergie : la vapeur

Au Ier siècle de l'ère chrétienne Héron d'Alexandrie construit l'Éolipyle, sorte de jouet à vapeur fonctionnant comme une turbine à réaction. Il faut attendre d'autres inventeurs, comme Denis Papin pour montrer que la vapeur sous pression pouvait actionner un piston dans un cylindre. En fait, au départ, la notion de travail associé à cette machine est totalement absente. Les travaux de Nicolas Léonard Sadi Carnot et la naissance de la thermodynamique permettent de formaliser ce concept. C'est précisément cette notion qui, attachée aux machines développées au moment de la révolution industrielle, avec en parallèle l'utilisation d'énergie fossile, fait basculer le système technique vers la civilisation thermo-industrielle.

La première machine fonctionnant à vapeur à être utilisée industriellement est celle du capitaine Thomas Savery en 1698. Elle sert à pomper l'eau d'exhaure dans les mines de Cornouailles. Bien que simpliste et gourmande en charbon, elle sauve de nombreuses mines de la ruine.

Mine à charbon de Crachet Picquery Frameries
Moteur atmosphérique à vapeur de Newcomen.

La première véritable machine à vapeur, celle dont toutes les machines alternatives descendent, est inventée et construite par un forgeron du Devon : Thomas Newcomen en 1712. Elle est conçue comme machine de pompage pour une mine de charbon située près de Dudley Castle, dans le Staffordshire. Très fiable, cette machine fonctionne au rythme lent de douze coups par minute, et consomme aussi beaucoup de charbon. En effet, pendant son fonctionnement on envoie dans le cylindre successivement de la vapeur, qui le réchauffe, puis de l'eau froide, qui le refroidit : le charbon sert surtout à réchauffer le métal du cylindre.

En 1764, frappé par la déperdition d'énergie de la machine de Newcomen, James Watt imagine de ne plus condenser la vapeur dans le cylindre, mais dans un condenseur séparé. Il en dépose le brevet en 1769. L'application industrielle commence à partir de 1775, après que James Watt se fut associé avec Matthew Boulton, propriétaire de la manufacture de Soho, près de Birmingham. Leur démarche de commercialisation est elle-même innovante : ils passent contrat avec un client équipé d'une machine Newcomen, et financent le remplacement par une machine de Watt. Les deux associés se paient en prenant pour eux une part des économies de charbon réalisées par le client, grâce au bon rendement énergétique de la machine de Watt.

Machine à vapeur de Watt.

Watt brevète plusieurs autres inventions comme la machine rotative et surtout la machine à double effet (1783) dans laquelle le cylindre reçoit la vapeur alternativement par le bas et par le haut, ainsi qu'un régulateur centrifuge ou à boules (1788) assurant une vitesse constante au moteur. La machine à vapeur est ainsi en mesure de remplacer les roues de moulin, pour l'entrainement des équipements industriels.

Le développement est rapide : 496 machines à vapeur Boulton et Watt sont en service en Grande-Bretagne en 1800. Les brevets de Watt tombent dans le domaine public vers 1800. Le développement de la machine à vapeur est l'une des raisons de la précocité britannique. En 1830 le Royaume-Uni possède 15 000 machines à vapeur, la France 3 000 et la Prusse 1 000. La France reste à la traine dans ce domaine : en 1880 elle ne possède que 500 000 chevaux-vapeur installés contre deux millions pour le Royaume-Uni et 1,7 million pour l'Allemagne.

Moyen de transport : le bateau

L'USS Cayuga, un navire à vapeur de 1861.

La révolution industrielle, particulièrement dans sa première phase, s'appuie sur la vapeur permettant de faire fonctionner des bateaux à vapeur et, un peu plus tard, des locomotives. Une autre énergie sera développée, plus marginalement, durant cette période : le gaz. Celui-ci sert notamment à éclairer les premières usines avant que ne soit généralisé l'usage de l'électricité, à la fin du XIXe siècle.

L'adaptation de la machine à vapeur à des bateaux se révèle plus difficile que pour les chemins de fer : risque d'incendie avec les coques de bois, risque de panne – un bateau dont la machine tombe en panne est désemparé – faible autonomie due au mauvais rendement des machines à vapeur. Toutefois, le 15 juillet 1783, le « Pyroscaphe » est le premier bateau à vapeur – naviguant pendant un quart d'heure, sur la Saône – construit par Jouffroy d'Abbans. La navigation à vapeur débute donc sur les rivières, dans les ports pour les remorqueurs, et sur des trajets courts, comme la traversée de la Manche. Le nombre et le niveau technique des bateaux à vapeur progressent rapidement : ainsi, dès 1830 les premiers steamers mettent dix jours de moins sur le trajet New York-Londres que les voiliers les plus rapides. L'augmentation de la taille des navires divise les frais de transports par quatre entre 1820 et 1850 sur les liaisons internationales.

En 1869, l'ouverture du canal de Suez permet aux bateaux à vapeur de faire le trajet vers l'Inde en 60 jours, contre six mois auparavant. D'autre part, des dizaines de bateaux à vapeur sillonnent la Loire entre 1830 et 1850. Leur vitesse est impressionnante (de 4 à 15 nœuds à la remonte, et 9 nœuds en descendant), et donne lieu à des courses qui se terminent parfois dans un banc de sable… Mais vers 1850, le chemin de fer entraine leur disparition : en 1910 la Royal Navy britannique prend la décision de basculer vers une alimentation au fioul, et non au charbon, pour ses nouveaux bâtiments. Cette bascule se généralise dans le domaine du transport et instaure l'ère du pétrole pour le XXe siècle.

Canal vers 1850.

Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, le développement de l'industrie charbonnière repose sur les transports par bateaux, soit sur les rivières navigables, soit par mer. Les routes ne permettent pas de transporter des chargements lourds, surtout après une pluie.

Francis Egerton, troisième duc de Bridgewater, peut voir dans son grand tour d'Europe le canal du midi, ouvert en 1681. Possédant des mines de charbon à Worsley, près de Manchester, il décide la construction d'un canal pour transporter son charbon de ses mines jusqu'à Manchester. Dirigée par James Brindley, la construction commence en 1759, et se termine en 1776, pour un cout de 350 000 £ – énorme pour l'époque. Ce canal rapporte un grand profit au duc, et la prospérité à Manchester qui peut disposer d'un charbon bon marché, pour les machines à vapeur et l'industrie du coton qui commence à se développer.

Rapidement, un réseau de 4 800 km de canaux permet l'acheminement du charbon et d'autres produits un peu partout : par la route, un cheval transporte 120 kg, tandis que sur un canal, le même cheval tire 50 tonnes à la vitesse moyenne de 6,5 km/h. Des bateaux rapides tirés par deux chevaux (remplacés tous les 6,5 km) transportent des passagers à la vitesse moyenne de 16 km/h.

Pendant 50 ans, les canaux sont les artères de la première révolution industrielle, faisant la fortune de leurs propriétaires. Puis le chemin de fer les remplace peu à peu, jusqu'à s'imposer définitivement au cours de la deuxième révolution industrielle.

Textile

Jusque vers 1750 la majorité de la production s'opère soit à domicile, soit dans des ateliers artisanaux avec quelques apprentis : c'est le domestic system, qui fournit aux opérateurs un revenu d'appoint, pendant les temps morts de l'agriculture. Ce modèle rationnel – où les familles s'organisent par elles-mêmes – constitue les prémices de l'industrialisation, appelée proto-industrialisation.

Selon l'historien Fernand Braudel, l'industrie textile est la première à être mécanisée. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle les Premiers entrepreneurs du coton britannique, puis les innovateurs français jouent un rôle majeur  :

La spinning-jenny de James Hargreaves, 1765
  • 1733 : John Kay invente la navette volante qui permet de tisser quatre fois plus vite et des tissus plus larges. Il fallait donc quatre fileurs pour un tisserand. Cette rupture d'équilibre provoque en cascade d'autres inventions techniques,
  • 1765 : James Hargreaves brevete la « Spinning-Jenny » un rouet où l'on peut poser huit broches. Hargreaves est un ouvrier tisserand illettré. Sa machine est détruite par des ouvriers tisseurs furieux de perdre leur travail, et il meurt dans la pauvreté,
  • 1767 : Richard Arkwright brevète la « water-frame », première fileuse mécanique basée sur le modèle de machine à filer brevetée par Lewis Paul en 1738,
  • 1779 : Samuel Crompton crée la « mule-jenny » qui met en œuvre 400 broches à la fois (eau ou charbon nécessaire),
  • 1785 : Edmund Cartwright - un « clergyman » du Leicestershire invente le premier métier à tisser mécanique,
  • 1801 : Joseph Marie Jacquard met au point le métier Jacquard conduit par un seul ouvrier au lieu de plusieurs comme auparavant.
  • 1829 : Barthélemy Thimonnier dépose le brevet d'une machine à coudre à fil continu
  • 1846 : perfectionnement de la machine de Thimonier par Elias Howe.

Richard Arkwright achète leurs cheveux aux paysannes pour faire des perruques. Après avoir inventé la mule-jenny, il crée en 1771 une usine à Cromfort (Derbyshire) où l'eau est abondante pour actionner les machines, mais la main-d'œuvre est rare. Il fait venir des familles pauvres, dont les femmes et les enfants travaillent sur les métiers à tisser 13 heures par jour. En 11 ans, il créé deux autres usines, employant 5 000 personnes. Son système est largement copié: En 1780, 120 usines fonctionnent, la plupart dans le nord-ouest de l'Angleterre. Ce succès lui vaut d'être anobli.

En 1800, 80 % du coton est tissé mécaniquement avec des « mule » dans le Lancashire. En 1815, en Angleterre, 2 500 métiers mécaniques sont recensés contre 250 000 à bras.

La production est concentrée dans des manufactures qui utilisent une très importante main-d'œuvre dans de mauvaises conditions d'hygiène, d'éclairage, de bruit et de sécurité. L'utilisation de machines à vapeur permet d'installer ces manufactures près des villes, qui deviennent rapidement des villes industrielles. Les ouvriers habitent à proximité de leur lieu de travail pour pouvoir s'y rendre à pied : les journées de travail sont très longues et le temps de repos trop court pour qu'il puisse être réduit par un long trajet. Notons que certaines innovations contribuent à la dégradation des conditions de vie et de travail des ouvriers46. Si, la machine à coudre d'Elias Howe en 1846 permet le maintien du travail à domicile (le domestic system), l'intensification de l'industrialisation entraine l'augmentation des cadences dans la filature si bien que les conditions de vie et de travail dans le textile se dégradent ; c'est le sweating system.

À la lumière des éléments cités, on comprend, en partie, la précocité du Royaume-Uni dans le processus de révolution industrielle.

Métallurgie

Le boom ferroviaire des années 1840 a très fortement augmenté les besoins en acier, mais des progrès techniques étaient apparus avant.

Le terme « sidérurgie » (employé en 1761 par le maître de forges Pierre-Clément de Grignon dans ses mémoires à l'Académie des sciences) préfigure un tournant dans les activités métallurgiques. Les travaux au XVIIIe siècle de Gaspard Monge, Claude Louis Berthollet,Alexandre-Théophile Vandermonde caractérisent les catégories d'acier selon leur mode d'élaboration.

Ces activités ne sont pas nouvelles : en France, entre 1084 et 1170, les Pères chartreux sont maitres de forges dans le cadre d'une métallurgie forestière 47. En Grande-Bretagne la métallurgie charbonnière est exploitée de bonne heure  : Les moines de Newbattle Abbey créent la première mine de charbon d'Écosse au XIIIe siècle, et les mines écossaises produisent en 1700 400 000 tonnes, et 2 000 000 tonnes en 1800. Le coke est fabriqué, exactement comme le charbon de bois, par une combustion incomplète dans des meules. Charbon et coke sont employés à la place du bois, pour le chauffage domestique ou industriel (verreries, tuileries, poteries). Cependant, la difficulté du procédé vient de la teneur en soufre élevée des cokes, qui rend la fonte impropre à l'utilisation.

En 1708 Abraham Darby, un quaker qui exploite une fonderie de cuivre, s'installe à Coalbrookdale dans les gorges de la Severn. L'intention est de réaliser ce qu'aucun maitre de forge n'avait réussi jusque-là : faire de la fonte en utilisant du coke au lieu du charbon de bois, plus coûteux. Un vieux haut fourneau fonctionnant au charbon de bois est loué au seigneur du lieu. Après une année d'expérimentations, en sélectionnant des cokes peu chargés en soufre, il réussit à produire une fonte utilisable. Celle-ci est encore de qualité médiocre et ne permet pas d'obtenir du fer. Mais elle reste assez bonne pour fabriquer des marmites de cuisine bon marché, des plaques de cheminée et d'autres produits analogues. Abraham Darby en vend dans toute l'Europe, et cela dura 40 ans, jusqu'en 1750.

En 1750, le fils d'Abraham Darby – Abraham Darby II – réussit à obtenir du fer à partir de la fonte au coke, d'où une baisse du prix du fer. En 1779, le petit-fils Abraham Darby III construit le premier pont métallique, Iron Bridge, sur la Severn, en un lieu nommé depuis Ironbridge. Trois mois sont nécessaires à son haut fourneau pour produire les 384 tonnes de fonte. Ironbridge est considéré comme le berceau de la révolution industrielle. La société Darby cesse son activité en 1818, victime de la crise consécutive à la fin des guerres contre la France et de la concurrence.

Le premier pont métallique réalisé en France est le pont d'Austerlitz, en 1807 (reconstruit en 1854 à cause de nombreuses fissures).

Carreau de mine de La Houve à Creutzwald (Lorraine)

La fonte, produite par le haut fourneau, est du fer contenant un pourcentage élevé de carbone. En enlevant le carbone, on obtient du fer. En 1784, Henry Cort invente le procédé du puddlage pour obtenir du fer à partir de la fonte – procédé très bien décrit par Jules Verne dans son roman les Cinq Cents Millions de la Bégum, métal avec lequel est réalisé la tour Eiffel. On peut ensuite obtenir de l'acier en ajoutant un peu de carbone au fer.

Le premier acier fabriqué est un acier de cémentation. Ce mode de fabrication de l'acier, déjà connu dans l'Antiquité, consiste à chauffer des barres de fer au milieu de charbon de bois dans un four fermé. La surface du fer acquiert une importante teneur en carbone. La méthode dite au creuset initialement développée afin de retirer les scories de l'acier issues de la cémentation, permet de fondre ensemble le fer et d'autres substances dans un récipient (le creuset) composé d'argile réfractaire et de graphite. On homogénéise et allie ainsi l'acier. Sont ainsi fabriqués par exemple les épées de Damas et de Tolède, moyennant un prix de revient élevé.

En 1842 le marteau-pilon est inventé. Il permet de purger le fer de son laitier (c'est le cinglage) et de forger avec précision de grandes pièces.

Suprématie de la Grande-Bretagne dès 1750

En Europe, au XVIIe siècle, l'Angleterre est une exception à plus d'un titre. Elle fait exception sur le plan culturel. Depuis le traité de Westphalie de 1648, qui stabilise la situation en Europe, en consolidant la France, l'Europe du Nord est stable sur le plan religieux, l'anglicanisme s'impose et se rapproche du protestantisme. Cette partie du monde se détache. Le parlementarisme anglais émerge au moment de la Révolution financière britannique. Les conceptions économiques des Britanniques prennent une évolution radicale avec le libéralisme d'Adam Smith, qui reconnait la valeur économique de l'individu, avec des droits à l'époque des Premiers entrepreneurs du coton britannique, dont il décrit et analyse l'émergence.

Le système des corporations disparait avec l'apparition des brevets. Mais l'Angleterre étant une ile, elle s'impose une politique maritime ambitieuse. Au XVIIIe siècle, le Royaume-Uni possède une grande flotte maritime, un grand capital technique et économique. L'affrontement franco-anglais est à son paroxysme. Les Anglais dominent la mer, malgré les grands efforts français. L'avance anglaise est technique (chronomètre de marine) et la richesse française se dilue alors dans sa puissance démographique (un Européen sur cinq est alors français).

Empire colonial britannique en 1897.

C'est dans ce contexte que nait la révolution industrielle. Sa précocité en Angleterre pose la question de ses origines. Plusieurs facteurs sont avancés : l'empire colonial, la spécialisation industrielle précoce et la puissance financière.

Empire britannique

L'Empire colonial britannique est le plus étendu du monde au XIXe siècle avec environ 33 millions de km2 pour une population représentant environ le quart de la population mondiale totale d'alors c'est-à-dire 500 millions d'habitants. Il s'agit d'un Empire bien plus vaste que celui de la France, tant en superficie (10 millions de km2) qu'en nombre d'habitants (50 millions).

L'inauguration du Crystal Palace à Londres en 1851

Adoptant une stratégie coloniale différente des autres nations, notamment de la France, le Royaume-Uni opte très tôt pour le libre-échange avec ses colonies mais également avec les autres nations. Le 26 septembre 1786, par exemple, la Grande-Bretagne et la France signent un accord commercial – le traité Eden-Rayneval – rendant la circulation des grains quasiment libre et interdit l'exportation de machines anglaises et l'émigration d'ouvriers qualifiés britanniques. Toutefois le traité le plus important entre les deux nations est celui du 23 janvier 1860, dit traité Cobden-Chevalier. De tels accords sont soit négociés, comme dans l'exemple précédent, soit obtenus par la force, comme pour l'installation de concessions à Shanghaï en 1842. On s'achemine dès lors de plus en plus vers la fin d'une politique d'obédience mercantiliste que l'abrogation des corn laws sanctionne définitivement en 1846. La Grande-Bretagne verse alors dans un libre-échange de conception free trade et non, comme c'est le cas de nos jours, de conception fair trade. Toutefois la Grande Dépression de 1873-1896 pousse à un retour vers des politiques teintées de protectionnisme, donc en repli sur le commerce avec les colonies.

Spécialisation industrielle précoce dès 1750

La dotation factorielle de la Grande-Bretagne est un élément constitutif de sa précocité et de sa supériorité au début de la révolution industrielle.

L'agriculture est sacrifiée au profit de l'industrie ; la part de l'activité agricole dans le PIB de la Grande-Bretagne passe de 20 % en 1850 à 6 % en 1906. Si en valeur absolue les données restent stables, en revanche en valeur relative on voit bien la proportion prise par l'activité industrielle. D'autre part, une telle diminution relative de l'agriculture peut s'expliquer par les effets du libre-échange et le commerce avec les pays « émergents » comme les États-Unis.

L'agriculture sacrifiée, les efforts tournés vers l'industrie, la domination industrielle de la Grande-Bretagne est assurée, au moins pendant une grande partie du XIXe siècle. Ainsi, la production industrielle s'accroit fortement, notamment dans les productions de charbon (qui augmente de 100 % entre 1830 et 1845), textile et sidérurgique dans lesquelles se spécialise la Grande-Bretagne. Cette domination s'appuie notamment sur une main-d'œuvre, abondante grâce à l'essor démographique, acquise aux nouvelles méthodes notamment organisationnelles avec la division du travail selon les conceptions d'Adam Smith. Elle s'appuie en outre sur la disponibilité des matières premières, fer et charbon, sur les colonies et sur de nombreuses innovations (Voir 2.4).

On note cependant que l'hégémonie britannique est de plus en plus contestée dans la seconde partie du XIXe siècle, surtout par les États-Unis et l'Allemagne qui s'industrialisent à une vitesse telle qu'ils rattrapent la Grande-Bretagne. Cela se traduit par une érosion de la balance commerciale dont le déficit passe de 11 millions de £ en 1820 à 140 millions à la fin du XIXe siècle. Toutefois, la suprématie financière se substitue à l'hégémonie industrielle et permet de compenser le déficit commercial grâce à des excédents colossaux.

Suprématie financière

La Grande-Bretagne domine incontestablement durant toute la première moitié du XIXe siècle. En conséquence, la City, place financière de Londres, est incontournable dans le domaine financier : en termes de transaction, pour les reconnaissances de dettes, pour émettre des actions, emprunter etc. Situation qui amène la Grande-Bretagne à constituer le plus vaste Empire colonial et à devenir le plus important investisseur à l'étranger (aux alentours de 1860, la Grande-Bretagne pèse à elle-seule 1/5e de la production mondiale). De plus, on y cote une majorité de matières premières, malgré la concurrence de la bourse de Chicago, et la monnaie de référence pour les échanges internationaux demeure la livre sterling. La suprématie financière de la Grande-Bretagne est accentuée sous le règne de la reine Victoria Ire (1837-1901).

Singularité du cas de la France

Paris en 1869 vue par le peintre Adolph von Menzel

On parle en effet de singularité pour le processus de révolution industrielle car elle ne correspond pas aux modèles établis. Certains comme Jean Marczewski48, considèrent que la révolution industrielle se caractérise en France par l'absence d'une phase de « take-off » (décollage) selon les critères établis par Walt Whitman Rostow dans son modèle normatif défini en 1960 « Les Étapes de la croissance économique » : toute société est censée connaitre un processus de croissance en cinq étapes dont l'une est primordiale ; celle du « take-off » où :

  1. l'investissement total réalisé doit représenter au moins 10 % du PIB total,
  2. plusieurs secteurs moteurs, ainsi qu'un cadre politique et social favorable doivent exister.

Or, la France ne suit pas ce modèle, le début de la révolution industrielle en France se caractérise, selon Maurice Lévy-Leboyer, par une chronologie plutôt irrégulière :

  1. de 1789 à 1815 : un contexte historique marqué par les guerres révolutionnaires et napoléoniennes,
  2. de 1830 à 1860 : un développement industriel, malgré tout, aux côtés de la Grande-Bretagne,
  3. de 1860 à 1905 : un ralentissement économique,
  4. à partir de 1905 : une forte reprise.

Contexte historique

Les débuts de la révolution industrielle en France sont marqués par : Les troubles consécutifs aux guerres révolutionnaires et napoléoniennes dont le cout est humain mais également économique: la France perd à cette occasion son dynamisme démographique.

Le Blocus continental mis en place par Napoléon Ier en 1806 provoque simultanément une perte de débouchés pour les grands ports français, comme Bordeaux, Marseille ou Nantes qui perdent de leur activité et voient leur population migrer en partie vers les régions industrielles du Nord-Est. Au plan industriel, Il en résulte une nouvelle spécialisation et une inversion des pôles d'activités industrielles en France. Au plan commercial, le commerce français s'oriente davantage vers le commerce continental.

La pensée française est fille du siècle des Lumières et de la Révolution : héritière à la fois du libéralisme et d'une conception plus « sociale », l'idéologie française adopte une voie intermédiaire entre le libéralisme britannique et le protectionnisme allemand.

Importance de l'État

Dès la fin de la Révolution, le pouvoir en place s'empresse de « libérer les forces du marché » par la suppression des corporations (décret d'Allarde, 1791) et l'interdiction de toute coalition (loi Le Chapelier, 1791). Par ailleurs, la France se dote sous le Consulat d'une monnaie, le franc germinal et d'une Banque centrale ; la Banque de France. Cette association permet à la France de retrouver des bases monétaires stables et un système centralisé. Celui-ci a en effet permis de juguler les troubles monétaires, nés des troubles révolutionnaire ; l'émission trop abondante d'assignats ayant entrainé de l'inflation. En outre, le franc germinal se caractérise par une stabilité tout au long du XIXe siècle. Si la France se dote d'un système monétaire centralisé, c'est qu'elle a hérité de son histoire sa tradition jacobine, autrement dit centralisatrice.

De surcroit, la France procède à de nombreuses réformes comme la création des lycées permettant la formation d'une élite dans le cadre d'un processus de rationalisation de l'État entamé dès le milieu du XVIIIe siècle avec, par exemple, la création de l' École Royale des Ponts et Chaussées en 1747 ou de l'École polytechnique en 1791. Mais la réforme majeure à retenir est celle de l'instauration du Code civil par Napoléon en 1804. En effet, il encadre le droit de propriété privée, élément essentiel dans le processus de révolution industrielle. Mais il permet également de se servir de la propriété privée en définissant le droit contractuel ; la propriété privée est un bien cessible et permet donc l'accumulation. Attention toutefois, cela ne signifie pas que la propriété n'était pas cessible sous l'Ancien régime mais que la propriété n'avait aucune fonction d'accumulation, elle était un symbole social. Elle demeure ce symbole au XIXe siècle mais ajoute la notion d'accumulation.

Puissance agricole et industrielle

De plus, par le biais de lois, l'État se joint à la croissance économique non seulement en la favorisant, mais également en la soutenant. On peut citer par exemple la loi Guizot de 1842 qui favorise l'extension du chemin de fer dont on connait l'importance dans le processus de révolution industrielle, les grands travaux – travaux du baron Haussmann à Paris, assainissement de zones marécageuses comme les Landes et la Sologne –, le plan Freycinet (1879-1882) pour relancer l'activité économique par le chemin de fer et l'amélioration des infrastructures, etc. L'Empire colonial français contribue également à soutenir l'industrialisation.

Hall d'exposition de l'exposition universelle de Paris en 1900.

L'État est parfois à l'origine de négociations favorisant le libre-échange, parfois à l'origine de mesures protectionnistes ; on retrouve là encore la voie intermédiaire choisie par la France, ni tout à fait libérale, ni totalement protectionniste. Dans le premier cas, il établit des accords commerciaux, comme celui de 1786, dit traité Eden-Rayneval, et, surtout celui de 1860, dit traité Cobden-Chevalier, qui limite les droits sur les produits industriels dans la limite de 25 %. Dans le second cas, il prend des mesures protectionnistes comme l'adoption de la loi Méline en 1892 permettant d'augmenter les droits de douane sur les céréales et la viande en cas de surproduction.

L'agriculture conserve une place bien plus importante dans l'économie française que dans l'économie britannique à la même époque. Des inventeurs contribuent aux progrès de l'industrie agricole comme André Grusenmeyer. Son importance est telle en France qu'il suffit que l'agriculture prospère pour que l'ensemble de l'économie s'en trouve améliorée. Au contraire, une agriculture qui n'est pas prospère conduit à l'amplification des mouvements de crises. L'agriculture est dominée en France par des petits propriétaires, ce qui explique en partie le comportement « malthusien » de la France au XIXe siècle : Faire moins d'enfants permet d'éviter l'émiettement du patrimoine familial, d'épargner davantage et de mieux les installer dans la vie.

La France est également une puissance industrielle, néanmoins derrière la Grande-Bretagne. Les changements sont plus progressifs qu'en Grande-Bretagne, expression d'un « malthusianisme » caractéristique ; concentration d'entreprises et production de masse sont plus tardives. De plus, l'industrie est dominée par une petite bourgeoisie qui privilégie un marché intérieur modérément dynamique.

Puissance financière

Bien que largement derrière la puissance financière de la Grande-Bretagne, le poids de la France en matière financière n'en demeure pas moins important. En effet, la France dispose du plus important stock d'or privé et représente le principal marché financier des gouvernements européens49. Les liens entre banques et industries demeurent cependant faibles et marquent une différence avec la Grande-Bretagne. En effet, la France reste frileuse à ce genre de pratique après l'expérience du système de Law. En outre, l'activité bancaire, notamment à la fin du siècle, se caractérise par une prudence que traduit la doctrine Germain consacrant la séparation des fonctions de banque de dépôt et de banque d'affaires.

Seconde révolution industrielle

Alors que la production mondiale avait mis 120 ans pour doubler entre 1700 et 1820, l'apparition et le développement de nouvelles techniques permettent un premier doublement en cinquante ans entre 1820 et 1870, puis un second doublement, en quarante ans, entre 1870 et 1910.

Secteurs clés

 

Chemin de fer

 

Plan de la locomotive Stephenson's Rocket de 1829.

 

On utilise depuis 1760 en Angleterre des chemins de fer, sur lesquels les wagons sont tirés par des chevaux. Comparativement aux routes, l'effort de traction nécessaire est bien inférieur.

 

Richard Trevithick est considéré comme l'inventeur de la traction à vapeur : un monument lui est consacré à Merthyr (Carmarthenshire, pays de Galles).En 1804, celui-ci adapte à la traction sur rails une machine à vapeur fabriquée par les Pen-y-darren Ironworks à Merthyr Tydfil : la vitesse de 5 miles à l'heure est atteinte (8 km/h) en tirant une charge de 10 tonnes et 70 passagers de Merthyr à Abercynon, sur une distance de 14 km. Mais les rails se cassent sous les 5 tonnes de la locomotive, et la machine à vapeur est réutilisée à poste fixe.

 

La première locomotive à vapeur utilisée en usage régulier est celle de l'ingénieur George Stephenson qui fabrique et brevète sa première locomotive en 1815.

 

Peinture d'Hans Baluschek de 1904

 

Chargé de construire une voie ferrée pour transporter le charbon de Liverpool à Stockton en Angleterre, Stephenson convainc les propriétaires des mines de le financer pour construire une locomotive. La première utilisation de la Locomotion a lieu le 25 septembre 1825. Elle tracte 20 wagons de voyageurs et 10 bennes de charbon. Alors qu'un cavalier portant un drapeau galope devant la Locomotion, Stephenson ordonne au cavalier de s'écarter car le train roule plus vite et dépasse l'homme à cheval. Plusieurs années sont encore nécessaires pour que la traction à vapeur devienne suffisamment fiable pour transporter des passagers. En 1830, Robert Stephenson, le jeune fils de Georges, crée la première ligne de chemin de fer moderne : Manchester-Liverpool. Constituée d'une voie double sur toute sa longueur elle offre pour la première fois des horaires fixes aux voyageurs.

 

Cela dit, l'Europe continentale n'est pas en reste : la première ligne du continent date du 30 juin 1827: c'est la ligne Saint-Étienne-Andrézieux, mais elle se limite les premiers temps au transport du charbon. S'y adjoint une ligne de voyageurs ouverte le 1er avril 1831 en France, sur une section entre Saint-Étienne et Lyon. Durant l'année les recettes de passagers payants s'élèvent à 10 000 Francs (115 000 Francs dès 1932)50. À partir du 1er mars 1832, la ligne enregistre ses premiers passagers payants (36 500 personnes en 1834).

 

En dehors de l'Angleterre, la première ligne de chemin de fer à vapeur à caractère régulier est inaugurée sur le continent européen le 5 mai 1835 entre Bruxelles et Malines. Ce n'est pas un essai voué à des transports épisodiques réservés aux riches mais d'emblée, une ligne construite par l'État à l'instigation du ministre Charles Rogier, partisan des idées fouriéristes : le chemin de fer doit être accessible au peuple, et se voit doté des attributs principaux que vont adopter les chemins de fer du monde entier : trois classes correspondant à trois types de voitures qui, au début, reçoivent des noms inspirés de la terminologie traditionnelle des transports, berlines, diligence et char à bancs51.

 

Sidérurgie

 

Représentation d'un atelier avec deux convertisseurs Bessemer avec leur forme caractéristique en cornue.

 

Il fallait de plus en plus d'acier avec le développement de la révolution industrielle : rails de chemin de fer, éléments de machines à vapeur, pièces de machines textiles, coques de bateaux etc. Ce fut l'Anglais Henry Bessemer qui trouva la solution, avec son convertisseur breveté en 1856. C'est une cornue de grande taille, à parois réfractaires, que l'on remplit de fonte en fusion. On envoie alors par le fond de l'air comprimé, qui fait bruler le carbone en produisant un spectaculaire jaillissement d'étincelles. Après 20 minutes, le convertisseur contient du fer ; on y introduit alors une quantité précise de carbone qui, après quelques minutes de mélange, donne l'acier correspondant aux spécifications. Il ne reste plus qu'à incliner le convertisseur sur ses pivots pour le vider dans une lingotière. Ce procédé permettait de convertir en une demi-heure 10 tonnes de fonte en autant d'acier ; consécutivement le prix de l'acier doux passa de 50 £ la tonne à 3 £.

 

Pays concernés

 

États-Unis

 

Territoires

 

American Progress. Représentation de la conquête de l'Ouest américain en 1872 par John Gast

 

Article détaillé : Conquête de l'Ouest.

 

L'expansion du territoire des États-Unis tout au long du XIXe siècle contribuera à développer l'industrie des chemins de fer, appelant notamment à la réalisation du tout premier chemin de fer transcontinental. Ainsi, les États-Unis achètent la Louisiane à la France en 1803 et la Floride à l'Espagne en 1819. Les États-Unis prennent le Nouveau-Mexique et la Californie au Mexique après la guerre de 1848 et la République du Texas, indépendante, décide son rattachement à l'Union en 1845. De plus, la forte démographie dans l'Oregon entraine une augmentation de la population américaine par rapport à la population britannique et amène l'Oregon à devenir un État américain en 1845. Une fois conquis, ces territoires font l'objet d'une politique de peuplement. L'« Ordonnance du Nord-Ouest » (Northwest Ordinance) adoptée par le Congrès continental le 13 juillet 1787 prévoit, entre autres, que le territoire du Nord-Ouest, formant jusque là une seule entité, soit divisé en plusieurs États et le Homestead Act de 1862 donne des terres aux colons après 5 ans de mise en valeur.

 

Ce déplacement de la frontière vers l'Ouest contribue fortement à développer les chemins de fer. La couverture ferroviaire se développe initialement sur la côte Est, principalement au Nord en raison de son industrialisation et de sa desserte de peuplement vers le Midwest. Après l'établissement de la première ligne en 1827 le développement de l'ensemble des réseaux atteint 49 100 km en 1860. Dès 1869 la liaison San Francisco-New York est achevée est relie les côtes Est et Ouest en moins de 7 jours contre 6 mois auparavant. En 1870, le réseau ferré américain représente désormais 85 100 km, et en 1913, 420 000 km: soit le tiers du réseau mondial. On comprend qu'un tel développement a eu des conséquences directes sur l'économie américaine et sur son industrialisation grâce à des effets d'entrainement sur l'activité industrielle. Par exemple, l'extension du chemin de fer entraine le dynamisme des activités sidérurgiques. De plus, le financement de ces travaux colossaux entraine le développement des activités boursières. Enfin, l'urbanisation se développe au gré de l'industrialisation. Cependant, certains historiens de l'économie contestent le rôle majeur qu'aurait exercé le chemin de fer sur l'industrialisation des États-Unis. Ainsi Robert William Fogel estime-t-il que l'impact du chemin de fer sur la croissance est inférieur à 5 %52. Il s'agit, néanmoins, d'une approche contestée.

 

Par ailleurs, il s'agit d'un territoire riche en matières premières. Citons notamment la présence de pétrole dont l'exploitation a permis aux États-Unis de prendre part très largement à la deuxième révolution industrielle. En effet, il est souvent considéré que le premier puits de pétrole a été creusé sous la direction d'Edwin Drake à Titusville, Pennsylvanie, en 1859. Cela préfigure la domination américaine dans le domaine de la production pétrolière. On retiendra l'hégémonie de la Standard Oil de John D. Rockefeller dont le monopole sera incontestable jusqu'à ce que la compagnie tombe sous la juridiction du Sherman Antitrust Act où elle a été divisée en plusieurs compagnies de moindre taille. Ajoutons en guise de remarque que plusieurs de ces petites compagnies grossiront au point de devenir les plus grosses compagnies pétrolières actuelles comme Exxon Mobil.

 

Raffinerie de la Standard Oil à Cleveland, Ohio, 1899.

 

C'est de plus un territoire qui contribue au développement et à la puissance de l'agriculture américaine. En effet, l'agriculture bénéficie de vastes territoires exploités grâce aux progrès de la mécanisation ; la première moissonneuse mécanique est inventée par Neil Mac Cormick en 1831. De plus, l'agriculture peut s'appuyer sur la diversité du territoire américain. Le Sud se spécialise ainsi dans la culture et l'Ouest dans l'élevage dont la production est facilement acheminée vers les ports d'exportation par les infrastructures et notamment le chemin de fer. En outre, la main-d'œuvre bon marché que constitue l'esclavage est un élément déterminant de la puissance agricole américaine au point que l'historien Robert Fogel53 le considère comme élément déterminant de la prospérité du Sud. Sur le plan extérieur, l'agriculture bénéficie des avantages du libre-échange, notamment de l'abolition des corn laws en 1846.

 

Appliquée aux nouvelles méthodes de production, cette diversification des activités contribue à établir la puissance des États-Unis notamment lors de la deuxième révolution industrielle. L'industrialisation, débutée au milieu du XIXe siècle devait alors être le facteur de la puissance américaine.
Après avoir atteint l'optimum de leur production domestique, l'enjeu devint pour les États-Unis la sécurisation des approvisionnements internationaux : lire l'article géopolitique du pétrole.

 

Démographie

 

Les États-Unis connaissent un essor démographique tout à fait remarquable. Cet essor est entretenu d'une part par la croissance naturelle et d'autre part par d'important flux migratoires. La population des États-Unis croit de 25 % par décennie entre 1860 et 1890 si bien qu'en 1880 les États-Unis comptent 50 millions d'habitants et en 1918 100 millions. L'immigration nourrit largement la croissance démographique ; les flux migratoires ont apporté 36 millions de personnes entre 1820 et 1920.

 

De surcroit, la majorité des flux migratoires provient du Royaume-Uni et d'Irlande mais également des pays scandinaves. Ainsi, les immigrés qui débarquent aux États-Unis sont souvent de religion protestante. Rappelons ici toute l'importance de l'éthique protestante en nous basant sur les travaux de Max Weber. En outre, on peut baser l'analyse de l'industrialisation américaine à partir des caractéristiques de la société américaine ; il s'agit d'une société méritocratique comme l'analyse Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, 1835-1840.

 

Tournant de la Guerre de Sécession

 

 

Avant la guerre de Sécession (1861-1865) la montée en puissance des États-Unis s'appuie surtout sur ses activités agricoles à tel point que l'agriculture demeure l'activité principale jusqu'en 1880 ; en 1890 l'agriculture représente encore 75 % des exportations américaines. Mais la guerre de Sécession change quelque peu la donne. En effet, cette guerre n'est pas qu'une guerre politique qui s'inscrit seulement dans la question de l'esclavagisme. Elle est également une guerre issue des rivalités économiques entre le Sud – conservateur, agricole et favorable au libre-échange – et le Nord – ouvert aux idées nouvellement venues d'Europe, en cours d'industrialisation rapide et favorable au protectionnisme selon la pensée d'Alexander Hamilton, de la théorie du « protectionnisme éducateur » de Friedrich List54 et de celles de Henry C. Carey. Par conséquent, la victoire du Nord consacre l'évolution de l'industrialisation dont le financement est en partie favorisé par l'inflation durant la guerre.

 

Allemagne

 

 

Carte de l'industrie et des mines en Allemagne en 1892
Industrie textile

 

L'industrialisation de l'Allemagne débute au même moment qu'aux États-Unis c'est-à-dire au milieu du XIXe siècle. Elle dispose également d'un important potentiel industriel, agricole et humain.

 

Unification pour s'industrialiser

 

La particularité de l'Allemagne est qu'elle n'existe pas en tant qu'État-nation au début du siècle. À la suite du Congrès de Vienne en 1815, la Confédération allemande regroupe 39 États dont l'unité se construit autour de la langue mais également du Zollverein à partir de 1834. Le Zollverein est une union douanière qui met en place une zone de libre-échange à l'intérieur et qui établit des tarifs extérieurs commun (TEC). De plus en 1857, le thaler prussien devient la monnaie de la zone puis est remplacé par le Mark en 1871. Parallèlement la Reichbank voit le jour en 1875. L'Allemagne adopte de ce point de vue une position protectionniste qui contraste avec la position britannique.

 

Puissance industrielle

 

Zeche Mittelfeld Ilmenau.jpg

 

Le démarrage de l'industrialisation est lent à cause de la disparité entre bassins industriels ; ceux de l'Est sont bien moins performants que ceux de l'Ouest comme la Ruhr. De plus, l'Allemagne présente un retard technologique qui la rend dépendante de la Grande-Bretagne mais aussi de la France. L'annexion de l'Alsace et de la Moselle accroit son potentiel industriel.

 

La montée en puissance de l'industrialisation est appuyée d'une part par la tradition marchande du Nord de l'Allemagne et par le soutien qu'apporte l'État. En effet, il existe une réelle tradition dans le domaine du commerce grâce aux ports du Nord, hérités de l'activité portuaire de la Hanse dès le XIIIe siècle.

 

L'État joue un rôle primordial, en favorisant l'extension du chemin de fer qui facilite l'unification de la Confédération allemande. Il a en outre favorisé la constitution de grandes entreprises – les Konzerne – et permet leur développement par le biais de mesures protectionnistes. De plus, l'État allemand supporte la formation professionnelle.

 

L'Allemagne est le premier pays à se doter d'une forme de protection sociale. En effet, la très forte concentration ouvrière émanant de l'industrialisation commence à soulever des critiques quant aux conditions de vie et de travail. C'est donc dans le but de contrer le marxisme qu'Otto von Bismarck décide de mettre en place les premières lois sociales. Dès 1883 une assurance maladie est créée, suivie en 1884 d'une protection contre les accidents du travail et enfin en 1889, création d'une assurance vieillesse.

 

Ces éléments permettent à l'Allemagne de s'industrialiser rapidement à partir des années 1850 et plus encore après 1870 où les konzerns prennent une place primordiale dans l'activité industrielle.

 

Agriculture

 

Les autres activités demeurent importantes mais restent secondaires par rapport à l'industrie. La production agricole croit tout au long du siècle ; les junkers, propriétaires fonciers, sont politiquement conservateurs, économiquement innovateurs. Les innovations en matière agricole sont de plus de plus nombreuses après 1850 et complètent les innovations importées de Grande-Bretagne. La spécialisation allemande dans la chimie lui confère un rôle de premier ordre dans la recherche d'engrais ; les recherches de Justus von Liebig dès 1840 sont fondatrices.

 

Faiblesse financière

 

Le financement de l'industrialisation s'appuie moins sur les capitaux boursiers qu'en Grande-Bretagne. La spécificité allemande est que le financement s'inscrit plutôt dans le cadre d'investissements à long terme grâce aux liens étroits entre banques et entreprises. Michel Albert55 montre que cette particularité allemande est caractéristique de son capitalisme contemporain, le capitalisme rhénan.

 

L'autre spécificité financière de l'Allemagne est la concentration des capitaux vers son territoire national. En effet, les capitaux allemands sont assez peu destinés à l'étranger ; on note toutefois des investissements importants dans l'Empire ottoman. Cette utilisation des capitaux s'inscrit dans la perception de l'économie nationale en Allemagne ; l'économie réelle – l'industrie – c'est-à-dire la puissance économique doit coïncider avec la puissance nationale. On voit bien la divergence avec la conception britannique.

 

Japon

 

Ouverture économique contrainte

 

Le Japon est un pays vieux de plusieurs millénaires mais son ouverture sur l'extérieur est tardive ; le Japon demeure dans une autarcie politique et économique (sakoku). Son ouverture sur l'extérieur ne participe pas d'un choix délibéré mais le Japon y a été contraint. En effet, l'amiral américain Matthew Perry entre en baie de Tokyo en 1853 et impose au Japon l'ouverture par le traité de Kanagawa en 1854, traité asymétrique au désavantage du Japon. L'ouverture économique du Japon de l'ère Meiji est donc le résultat de ce que l'on appelle la diplomatie ou politique de la canonnière.

 

Ère Meiji (1868-1912)

 

Un train entrant en gare à Kōbe

 

Article détaillé : ère Meiji.

 

En 1868, l'empereur Mutsuhito renverse le shogun et entraine le Japon dans la révolution industrielle. Dès les années 1870, le Japon connait un processus de croissance et de développement, soutenu par l'intervention de l'État. Ce dernier met en place les structures adéquates pour favoriser l'industrialisation. En effet, il initie la mise en place de chemin de fer et crée des entreprises nouvelles. Une fois consolidées par l'État, ces entreprises sont privatisées et passent sous le contrôle de grandes familles japonaises ; c'est la naissance des zaibatsus dont les plus connues sont Mitsui, Mitsubishi et Sumitomo. Celles-ci prennent alors la forme de sociétés par actions. Pour accompagner ces évolutions, le Japon met en place des institutions nouvelles ; création du yen (1871), de la Bourse (1878), de la Banque centrale du Japon (1882) et se dote de diverses mesures législatives encadrant le développement économique.

 

 

L'industrialisation du Japon va de pair avec son développement agricole. Celui-ci se caractérise par une rupture d'avec le régime féodal ; les terres détenues par les daimyos et les samouraïs sont confisquées puis redistribuées aux paysans. Ces terres, allouées aux paysans, sont une source importante de rentrées fiscales pour l'État, qui s'en sert pour financer le développement industriel. L'agriculture se développe d'autant plus qu'elle se diversifie par l'utilisation des terres au nord de Japon, notamment en Hokkaidō. L'agriculture est donc un facteur décisif de l'industrialisation du Japon non seulement parce qu'elle génère des revenus pour l'État mais également parce qu'elle contribue à diminuer la contrainte extérieure du Japon, très fortement dépendant de matières premières dont il est peu pourvu.

 

Au final, le Japon connait un fort développement économique, son taux de croissance est supérieur à celui de l'Allemagne quoique inférieur à celui des États-Unis, le commerce extérieur augmente fortement ainsi que sa production industrielle. En outre, la population japonaise passe d'environ 30 millions en 1860 à 50 millions au début du XXe siècle.

 

Russie

 

Réformes agraires

 

La Russie est le dernier des pays de la deuxième vague à s'industrialiser. L'archaïsme de son agriculture, même après avoir été réformée, a nourri son retard industriel. Toutefois, on ne peut penser le démarrage industriel sans, entre autres, le développement agricole. Après la défaite russe lors de la guerre de Crimée les dirigeants russes, en premier lieu l'empereur Alexandre II, ont pris conscience du retard économique et social de leur pays. Dans ce contexte, s'engage la réforme agricole, précédée de l'émancipation générale des paysans avec l'abolition du servage le 3 mars 1861. La réforme met en place des communautés villageoises – appelées obshchina ou mir – dans le cadre desquelles les paysans devaient payer des indemnités pour les terres qu'ont leur attribuait. Ces caractéristiques expliquent l'échec de la réforme, la modernisation et le développement de l'agriculture n'étant pas à la hauteur des espérances. Toutefois, la Russie ne consentit pas davantage, dans un premier temps, à faire évoluer son agriculture. En effet, cette dernière suffisait à faire vivre le pays grâce à ses exportations et les grands propriétaires bloquaient toute évolution. Pourtant, la Russie doit s'engager de fait, dès 1906, dans une nouvelle réforme agricole à cause de la chute des cours sur les marchés des céréales et les famines de 1891-1892 et 1902. Piotr Stolypine conduit cette réforme qui aboutit à la suppression du régime des communautés, c'est-à-dire des mirs. Toutefois, les efforts menés seront stoppés avec le début de la Première Guerre mondiale en 1914 et la révolution de 1917. Au final, la Russie ne sera pas parvenue à hisser son industrie au niveau de celles des grands pays européens, des États-Unis ou même du Japon, contre qui la Russie perd la guerre qui les oppose en 1905. Cependant, cela ne signifie pas que la Russie ne s'est pas du tout industrialisée.

 

Industrialisation

 

Réparation d'une ligne de chemin de fer, peinture de (en) Konstantin Savitsky (en) exécutée en 1874.

 

À la fin du XIXe siècle, la Russie est un pays en retard mais son industrialisation sera le fait d'un changement politique et profitera de l'avancée des autres grands pays. En premier lieu, la réforme agricole des années 1860 accroit les rentrées fiscales de l'État, en taxant les paysans, lui permettant de financer la construction de routes, d'industries mais également de chemins de fer, comme le transsibérien et le transcaspien. La carence en infrastructures de transport était apparue après la défaite en Crimée, l'armée russe ne parvenant pas à acheminer suffisamment de soldats sur le front. D'autre part, l'État fait appel à des industriels étrangers pour développer son industrie en bénéficiant des dernières innovations techniques. Citons, à titre d'exemple, le rôle de l'anglais John Hughes qui en 1869 fonde la « Nouvelle Société russe » pour construire des hauts fourneaux dans la région de Donetz. Le rôle de l'État est crucial dans l'industrialisation de la Russie ; pour Alexander Gerschenkron l'État, en se substituant au marché, a permis de dépasser les obstacles liés aux structures économiques et sociales du pays56. Il faut, en outre, souligner le rôle important des capitaux étrangers, notamment français et britanniques. Ainsi, l'industrialisation de la Russie s'accélère dans les années 1880-1890, notamment au bénéfice de l'armée impériale et de sa marine (lire Complexe militaro-industriel de la Russie#Sous la Russie impériale).

 

Évolutions sociales

 

Cette révolution industrielle s'est manifestée dans le domaine économique, mais elle n'en a pas moins transformé le domaine social. Cet aspect de la nouvelle société industrielle a principalement été étudié par Karl Marx. Selon K. Marx, la société industrielle succède à la société féodale, et joue un rôle historique primordial en tant qu'elle affirme le capitalisme et fait émerger le prolétariat.

 

Plus récemment, après la Seconde Guerre mondiale, on a perçu les conséquences de la révolution industrielle sur le plan environnemental. Cet aspect a été étudié par Lester R. Brown, qui considère que nous entrons dans une révolution environnementale57.

 

Évolution de la structure sociale

 

On pourra se rapporter au livre d'Olivier Marchand et Claude Thélot, Le Travail en France (1800-2000), 1997, pour obtenir des données statistiques fiables quant à l'évolution de la structure sociale de la France depuis 1800.

 

Plan de tracteur à vapeur de 1895.

 

Déclin agricole dès le milieu du XIXe siècle

 

La population agricole continue de croitre jusqu'en 1846 et rassemble 9,3 millions d'agriculteurs, d'après les séries statistiques étudiées par Olivier Marchand et Claude Thélot dans Le Travail en France (1800-2000), 1997.

 

Selon les mêmes auteurs, la diminution de la population agricole est due aux conséquences du traité de libre-échange franco-britannique de 1860, aux difficultés liées aux phylloxera et à la structure trop petite des exploitations, et à la faiblesse des investissements.

 

Exode rural et urbanisation

 

Une série de causes provoque l'exode rural soit le départ de nombreux paysans, quittant leurs champs pour rejoindre villes anciennes ou nouvelles agglomérations et contribuant ainsi à nourrir la croissance urbaine. Raisons négatives avec l'enclosure des terrains agricoles, ou la mécanisation de l'agriculture qui accroit la productivité et libère de la main-d'œuvre . Raisons positives dans la mesure où le départ vers les usines est perçu comme une opportunité d'échapper à la misère, sinon d'améliorer ses conditions de vie.

 

Toutefois, l'exode rural n'est pas l'unique cause de l'urbanisation. L'industrialisation crée des usines, qui elles-mêmes provoquent la concentration et l'installation de nombreux ouvriers dans les faubourgs des villes, voire l'émergence de nouvelles agglomérations (C'est par exemple le cas du Creusot ou de Roubaix, ou bien de villes à la périphérie de Paris comme Saint-Denis) voire la création de nouvelles conurbations (comme le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais). Se trouvent ainsi réunis par la proximité : bassin de main d'œuvre, infrastructures de transports performantes et vaste marché de consommation.

 

L'urbanisation contribue également à des évolutions sociales importantes : début du développement de l'habitat collectif, des premières politiques d'aménagement urbain (mise en place de moyens de transports comme le métro à la fin du XIXe siècle et aménagements urbains comme les travaux effectués à Paris par le baron Haussmann), etc.

 

Bourgeoisie triomphante

 

La Révolution de 1789 marque le triomphe d'une bourgeoisie, dont le pouvoir au sein de la société avait commencé à croitre dès le règne de Louis XIV pour devenir majeur au cours du XIXe siècle. Tout d'abord, une partie de cette bourgeoisie joue un rôle décisif au cours du processus d'industrialisation car dispose de ressources financières. Cela est encore plus vrai pour le deuxième XIXe siècle au cours duquel les investissements nécessaires représentent des sommes de plus en plus importantes. Toutefois, une partie de cette bourgeoisie demeure passive par rapport à la révolution industrielle, vivant de rentes issues de son patrimoine ; ce sont les rentiers, particulièrement nombreux en France.

 

Tout au long du XIXe siècle, le nombre de cette bourgeoisie s'accroit et représente une grande partie de la société. La grande bourgeoisie, à la tête d'entreprises industrielles, et la petite bourgeoisie, les petits commerçants, pèsent un poids conséquent dans la société58. Par ailleurs, outre son rôle économique et sociale, la bourgeoisie est de plus en plus présente politiquement. En France, cette présence politique est entretenue par la formation de la bourgeoisie dans des écoles, comme l'école des Hautes Études Commerciales (HEC) crée en 1881, dont elle a seule, au XIXe siècle, accès. Cela contribue à la formation d'un corps de hauts fonctionnaires ou, de ce que Pierre Bourdieu appelle une « noblesse d'État »59.

 

Constitution du prolétariat

 

Le travail en usine vers la fin du XIXe siècle représenté par Adolph von Menzel (1872-1875).

 

Souvent associé au monde ouvrier, le prolétariat relève en fait d'une réalité plus complexe. Si l'on retient de Karl Marx son analyse économique de la société en deux catégories, les capitalistes et les prolétaires60, on oublie parfois que Karl Marx avait déjà compris la complexité de la société et du prolétariat au XIXe siècle. En effet, Karl Marx distingue au sein de la société, l'aristocratie financière, la bourgeoisie industrielle, la petite bourgeoisie, la classe ouvrière, le Lumpenproletariat (« prolétariat en haillons ») et la paysannerie parcellaire61. Par ailleurs, Marx voit dans le prolétariat une classe contrainte de vendre sa force de travail aux capitalistes, que Marx accuse d'entretenir une situation favorable au développement de cette « armée industrielle de réserve ». Pour comprendre la notion d'exploitation dont parle Marx, il faut revenir à sa conception de la valeur. Il distingue, en effet, valeur d'usage et valeur d'échange ; pour pouvoir réaliser une « plus-value », le capitaliste doit contraindre les prolétaires au « surtravail », d'autant plus que le capitaliste est confronté à une « baisse tendancielle du taux de profit ».

 

En outre, on ne peut véritablement parler d'une classe ouvrière relativement homogène qu'à partir du dernier quart du XIXe siècle. En effet, on retrouve, surtout au début du XIXe siècle, des ouvriers spécialisés que sont les artisans, des ouvriers issus de l'industrie rurale, notamment en France, et le prolétariat des manufactures puis des usines. Cette dernière catégorie d'ouvrier demeure minoritaire jusqu'au milieu du XIXe siècle. Par la suite, consécutivement à la modernisation et à la concentration des usines, le nombre d'ouvriers de la petite industrie rurale et d'artisans devient plus faible. Ce n'est donc qu'après 1870-1880 que les ouvriers d'usines constituent une classe sociale homogène même si l'historien britannique Edward Palmer Thompson a mis en évidence qu'en Angleterre tout au moins, la classe ouvrière s'est formée au cours de la première moitié du XIXe siècle. Il précise que « pour la plupart des travailleurs, l'expérience cruciale de la révolution industrielle fut vécue comme une transformation dans la nature et l'intensité de l'exploitation62 ».

 

Représentation d'une cité industrielle vers 1870 par Gustave Doré.

 

Vers 1930, les ouvriers représentent encore près de 33 % de la population active occidentale. Les salaires sont peu élevés (5 F par jour en France de 1900 à 1914) et la nourriture absorbe une grande partie des revenus (jusqu'à 60 %). Ainsi, chez les ouvriers, toute la famille travaille : hommes, femmes et enfants. Les journées de travail sont très longues, de 12 à 15 heures en moyenne jusque vers 1860, avec de rares pauses. Le chômage est fréquent du fait des licenciements abusifs et de l'importance numérique de la population active. Il s'accroit nettement lors des périodes de crises économiques. Leurs logements sont insalubres, la nourriture est déséquilibrée et de mauvaise qualité, ce qui engendre la sous-alimentation, le rachitisme et le développement de maladies (choléra, tuberculose) tandis que le manque d'espoir pousse à l'alcoolisme63. Les accidents du travail, liés à la fatigue, à la pénibilité, aux difficiles conditions de travail sont fréquents (22 pour 10 000 en France, 41 pour 10 000 aux États-Unis entre 1871 et 1875).

 

Évolution du monde du travail

 

Rationalisation du processus productif

 

Fabrication des épingles, planche de l'Encyclopédie.

 

Les rédacteurs de l'Encyclopédie ou des économistes comme Adam Smith 64 décrivent quelques-unes des nombreuses pratiques qui existent dans l'industrie depuis le XVIe siècle (voir l'Arsenal de Venise) et se sont perfectionnées aux XVIe et XVIIIe siècles dans des secteurs d'activité comme les Chantiers navals hollandais ou l'Horlogerie (Voir la pratique de l'établissage)

 

Par suite, toujours dans la perspective d'accroitre la productivité du travail, les économistes vont s'attacher à améliorer l'organisation concrète du processus productif. Cette recherche de l'efficacité optimale se fait par des méthodes rigoureuses et donnent naissance à :

 

  • L'émergence des sciences de gestion avec l'ingénieur des Mines Henri Fayol qui, dans son ouvrage « l'Administration industrielle et générale », plaide pour la mise en œuvre d'un processus supérieur de pilotage « Prévoir, Organiser, Commander, Coordonner et Contrôler » en vue de superviser toutes les pratiques élémentaires à l'œuvre dans les processus industriels.
  • L'apparition de l'Organisation scientifique du travail (O.S.T.), promue par Frederick Winslow Taylor dans son ouvrage Principes du management scientifique paru en 1911 sous le titre original : Principles of Scientific Management.

 

Précurseurs : l'exemple de Frédéric Japy

 

Frédéric Japy (1749-1812)

 

Frédéric Japy fonde en 1771 sa propre fabrique d'ébauches à Beaucourt, la première de l'histoire en territoire français. La fabrication de pièces pour l'industrie horlogère est, du temps de Japy, le fait d'ouvriers spécialisés travaillant à domicile, et fournissant chacun un type très spécifique de pièce. L'organisation de la fabrique de montres Japy est sur ce point innovante : Frédéric Japy regroupe ses ouvriers dans une usine à part de la ville. Avec une conception et une utilisation de machines destinées à la production en série, Japy augmente à faible cout les cadences de production tout en réduisant la main d'œuvre nécessaire. Frédéric Japy implante dans la manufacture, bien avant d'autres, les lois dites du Taylorisme et du Fordisme.

 

Il dépose en 1799 les brevets de dix machines révolutionnaires, dont une machine à tailler les roues, une machine à fendre les vis, un tour pour tourner les platines des montres. Il insiste dans ses descriptions sur le fait que ses machines peuvent être actionnées facilement par des infirmes ou des enfants. Son inventivité technique ne s'arrêtant pas à son cœur de métier, Frédéric Japy invente en outre un modèle de pompe rotative encore en usage de nos jours. Lorsque Frédéric Japy installe sa fabrique à Beaucourt, les montres sont encore fabriquées selon le système de l'établissage : le fabricant achète toutes les ébauches nécessaires et les assemble lui-même. Ainsi 150 ouvriers en moyenne interviennent pour réaliser le produit fini en se cantonnant chacun à une opération bien spécifique. Mais Frédéric Japy a déjà fait l'expérience d'un matériel beaucoup plus novateur. Ainsi, il passe rapidement commande à Jeanneret-Gris d'une série de dix machines différentes qui lui permettent de concevoir les 83 pièces de l'ébauche. Un système productif particulièrement novateur est dès lors en place : l'utilisation de la machine-outil lui permet d'embaucher des ouvriers non qualifiés, des femmes, des vieillards… Grâce à cette nouvelle division du travail, il est désormais possible de produire les ébauches en série et dans un atelier unique. Ces machines « infernales » imposent une concurrence très rude à tout le monde artisanal et corporatif de l'horlogerie : une ébauche de montre vendue à 7,50 F en 1793 sort à 2,50 F des ateliers beaucourtois. Immédiatement, cette concurrence engendre la fermeture de nombreux ateliers jurassiens mais elle agit aussi en Suisse où la manufacture Japy écoule 91,3 % de sa production. Ce faisant, Frédéric Japy impose la machine-outil comme mode de production et se pose comme le principal initiateur de la fabrication mécanique de montres. Cette technicité Japy correspond sans conteste à l'un des trois changements techniques nécessaires au démarrage de la révolution industrielle : la substitution de l'invention mécanique aux talents humains.

 

Vulgarisateurs : Frederick Taylor et Henry Ford

 

Frederick Winslow Taylor, initiateur du taylorisme contribue au début du XXe siècle à mettre fin aux usages et à l'organisation individualiste et artisanale. Pour lui, la réussite industrielle implique un mode de pensée et d'action plus cohérent : il préconise une spécialisation des tâches à la fois verticale (il y a ceux qui pensent les processus de travail et ceux qui les exécutent) et Horizontale (délimitation et parcellisation des tâches pour les ouvriers et les employés). Il apporte l'idée du « one best way » : standardisation et chronométrage des tâches simplifiées (les gestes sont décomposés au maximum) des ouvriers, afin de minimiser leurs mouvements et définir des cadences de travail. Sont ainsi évacuées la « flânerie systématique » des ouvriers en vue d'obtenir une régularité et un niveau plus élevé de production. Henry Ford, début XXe siècle, avec le fordisme, introduit le travail à la chaine dans le secteur automobile en installant un tapis roulant qui achemine les pièces vers les ouvriers spécialisés, ce qui leur évite des déplacements inutiles.

 

Une ligne de montage aux usines Ford en 1913 en Amérique.

 

Cette nouvelle organisation du travail n'est pas sans conséquence sur les travailleurs, Karl Marx la décrit comme conduisant à l'aliénation du prolétaire, qui n'est plus qu'un maillon d'une chaine de production : « C'est une simple machine à produire la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement[réf. souhaitée]. » Plus tard Georges Friedmann qualifiera cette organisation du travail de « travail en miette65 ». Ouvriers et syndicats ont souvent contesté ces méthodes de travail.

 

Mécanicien travaillant sur une pompe à vapeur, Lewis Hine, 1920.

 

Karl Marx met en évidence l'existence de l'armée de réserve de travailleurs, une réserve de travailleurs au chômage permettant aux capitalistes de disposer de mains d'œuvre et de maintenir les salaires au plus bas en faisant massivement appel aux femmes et aux enfants dans les fabriques. Et l'historien Edward Palmer Thompson précise : « Certains historiens économiques semblent peu désireux [...] de reconnaitre cette évidence : l'innovation technologique, au cours de la révolution industrielle et jusqu'à l'époque du chemin de fer, évince (sauf dans les industries métallurgiques) la main d'œuvre qualifiée adulte66. »

 

Certains travailleurs perçoivent la machine comme directement responsable du chômage, et l'on voit apparaitre des mouvements de briseurs de machines comme en Angleterre en 1811-1812 avec les Luddites.

Évolution de l'environnement

 

Depuis les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), on s'est rendu compte que les émissions de gaz à effet de serre par la civilisation industrielle constituent un facteur commun du développement des sociétés actuelles. C'est en effet depuis la révolution industrielle que les sociétés humaines extraient des énergies fossiles (charbon, puis pétrole et gaz naturel), dont la combustion rejette dans l'atmosphère des quantités très importantes de dioxyde de carbone, dont l'accumulation dans l'atmosphère est responsable de l'effet de serre et du réchauffement climatique global. Même si les diverses formes de combustion d'énergies fossiles constituent la source des émissions les plus évidentes, elles ne sont pas les seules : il y a aussi la combustion de la biomasse, la déforestation, la concentration urbaine (déchets), l'agriculture (émissions azotées causées par les engrais), l'élevage67, etc.

 

Même si certains facteurs préexistaient à la révolution industrielle, il est indéniable que l'augmentation des émissions du carbone fossile depuis 1860, et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, a provoqué une accélération du phénomène du changement climatique68.

 

Le réchauffement climatique n'est pas la seule conséquence environnementale. Il faut citer également la perte de biodiversité, liée en grande partie à la déforestation, et les diverses formes de pollution de l'eau, de l'air ou des sols.

 

Les risques environnementaux induits par la technoscience sur les générations futures ont été analysés depuis 1979 par le philosophe Hans Jonas69.

 

Selon l'expert américain Lester R. Brown, la révolution industrielle a libéré une énergie créatrice gigantesque en raison d'une productivité supplémentaire. Elle a aussi donné naissance à de nouveaux modes de vie et à l'ère la plus destructrice pour l'environnement que l'histoire humaine ait jamais connue, en risquant de remettre en cause la croissance économique. Il en résulte la nécessité d'une restructuration de l'économie mondiale, avec un changement conceptuel comparable à celui de la révolution copernicienne70.

 

Évolutions politiques des sociétés industrialisées

 

Évolution du rôle de l'État

 

Dès la fin du XVIe siècle, le mercantilisme défend les conceptions d'une « économie au service du prince ». L'intervention de l'État se décline de manière variable selon les pays : En Angleterre qui pratique une mercantilisme essentiellement commercial, elle sert en premier lieu, « Le commerce extérieur qui est d'après Thomas Mun71, la richesse du souverain, l'honneur du royaume, [...], le nerf de notre guerre, la terreur de nos ennemis ». En France, L'État colbertiste intervient de façon plus complexe dans l'économie avec notamment la mise en place de manufactures royales. (voir l'exemple de Villeneuvette).

 

Puis l'émergence de la physiocratie au XVIIIe siècle puis du libéralisme au XIXe siècle réduit l'importance des interventions de l'État au sein de l'économie. Karl Polanyi estime qu'au XIXe siècle, exactement en 1834 et 1929, le marché est autorégulé, c'est-à-dire fonctionne avec une intervention très restreinte de l'État.

 

Toutefois, marché autorégulé n'équivaut pas pour autant à l'absence de toute forme d'intervention de l'État :« De capitalisme entièrement privé, l'histoire n'en a jamais connu », (François Perroux)72, D'autre part, il faut nuancer l'idée selon laquelle l'essor du libéralisme au XIXe siècle conduit à l'absence de toute intervention de l'État : Certains économistes classés comme libéraux (par exemple Léon Walras le grand formalisateur de l'équilibre du système économique) défendent l'intervention publique dans certains domaines comme la répartition de la formidable richesse produite par l'essor sans précédent favorisé par le développement des processus industriels73.

 

Économiquement, les États s'engagent financièrement dans le processus de révolution industrielle. Ils initient, en effet, une politique active pour mettre en place un environnement favorable au développement économique en aménageant leur territoire : grands travaux à Paris sous la direction du baron Haussmann, aménagement de villes de province, création de villes nouvelles en Angleterre, travaux d'assainissement (en Sologne, par exemple), etc. De plus, ils contribuent à mettre en place des infrastructures de transport modernes : plan Freycinet dès 1878 en France, construction de métro ou tramway, etc. Par ailleurs, si le libéralisme a été très influent sur l'orientation donnée au commerce extérieur en imposant le libre-échange – abolition des corn laws en 1846 et du Navigation act en 1849 en Angleterre, signature du traité franco-britannique de libre-échange en 1860, etc. —, les États n'hésitent pas à intervenir directement lorsque les difficultés économiques les y contraignent. Ainsi, avec les difficultés générées par la Grande Dépression les États interviennent en revenant au protectionnisme : Loi et Tarif Méline de 1892 et « loi du cadenas » de 1897 en France, tarifs Mac Kinley en 1890 et Dingley en 1897 aux États-Unis, mise en place de législations anti-trusts, notamment aux États-Unis avec les Sherman Act de 1890 et Clayton Act de 1913. En fait, le degré de protectionnisme et d'intervention de l'État dépend de chaque pays. L'Allemagne demeure fidèle au « protectionnisme éducateur » de Friedrich List54, les États-Unis demeure dans un isolationnisme, tel qu'il est défini par la doctrine Monroe74, justifiant le protectionnisme tandis que le Royaume-Uni opte pour le libéralisme et que la France adopte une voie intermédiaire.

 

Fait nouveau au XIXe siècle, l'intervention de l'État s'étend au domaine social sous l'effet conjugué d'une évolution de la pensée politique et de la mobilisation des syndicats. L'État inaugure alors un rôle qui, auparavant, était majoritairement le fait des paroisses ; c'était le cas des poor laws en Angleterre. Les premières mesures sociales peuvent être datées du début du XIXe siècle en Angleterre, terre du libéralisme. En effet, dès 1815 Robert Owen est à l'origine d'une loi pour limiter le travail des enfants qu'il fera contrôler par des inspecteurs du travail en 1833. Par la suite, l'Angleterre limite la durée du travail des femmes en 1847. En France, une première tentative de législation sociale concerne également le travail des enfants avec la loi du 22 mars 1841 à l'initiative de Laurent Cunin-Gridaine. Toutefois, les mesures les plus importantes au niveau social viennent de Prusse ; Bismarck met en place en 1883 une assurance-maladie, en 1884 un système pour prémunir les travailleurs contre les accidents du travail et en 1889 une assurance-vieillesse. À la fin du XIXe siècle certains auteurs commencent à évoquer la notion de service public que le juriste Léon Duguit définissait comme « toute activité dont l'accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l'accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l'interdépendance sociale, et qu'elle est de telle nature qu'elle ne peut être réalisée complètement que par l'intervention de la force gouvernante »75.

 

Une telle intervention de l'État trouve un écho favorable chez certains libéraux. Outre Léon Walras et Alfred Marshall, John Stuart Mill défend l'importance de l'intervention publique dans le domaine de l'éducation. Par ailleurs, Jean de Sismondi défend l'idée d'un État au cœur de la régulation économique et garant du bien-être de la population.

 

De même, avec l'émergence du concept de développement durable à la fin du XXe siècle, les États ont commencé à s'engager dans le domaine environnemental (directives européennes, stratégies nationales de développement durable, et en France loi relative aux nouvelles régulations économiques et Grenelle de l'Environnement).

 

Utopies sociales

 

Les grandes utopies du XIXe siècle naissent donc dans ce contexte. Ces dernières sont le plus souvent influencées par le socialisme utopique, c'est-à-dire le socialisme précédant le socialisme scientifique. En Grande-Bretagne, Robert Owen imagine la création de colonies, fondées sur la mise en commun des biens, dont la tentative de mise en place échouera. En France, Claude Henri de Saint-Simon prône un mode de gouvernement contrôlé par un conseil formé de savants, d'artistes, d'artisans et de chefs d'entreprise et dominé par l'économie qu'il convient de planifier pour créer des richesses et faire progresser le niveau de vie. De son côté, Charles Fourier pense une nouvelle forme d'organisation sociale au travers de phalanstères76 que son disciple, Victor Considérant tentera, en vain, de concrétiser. D'autres courants tenteront d'apporter plus de réalisme à ces utopies. C'est le cas de Louis Blanc qui propose la mise en place d'ateliers nationaux77 ou bien de Philippe Buchez qui défend la création de vastes coopératives78. Au final, ces utopies soulignent une critique du profit capitaliste, de la concurrence, ou du moins ses excès79 et parfois de la propriété privée80.

 

Combat social

 

Dès la première moitié du XIXe siècle, les « crises mixtes », c'est-à-dire dont l'origine est encore agricole mais dont les effets sont de plus en plus importants au niveau industriel, suscitent les premiers combats sociaux. En effet, la crise de 1836, provoquée par la spéculation sur l'émission de titres publics espagnols et portugais, conduit à une crise sociale avec la naissance du chartisme. Auparavant, d'autres mouvements avaient déjà vu le jour comme le luddisme en Grande-Bretagne ou bien la révolte des Canuts à Lyon en 1831. Toutefois, la crise ayant eu le plus de répercussions est celle de 1847, issue des mauvaises récoltes. Tous les pays européens engagés dans le processus de révolution industrielle connaissent des troubles qui culminent en 1848 avec les mouvements révolutionnaires.

 

Néanmoins, les combats sociaux deviendront plus amples et plus organisés dans la seconde moitié du XIXe siècle. C'est le résultat d'une plus grande concentration de la main-d'œuvre dans des usines de plus en plus grandes. De surcroit elle s'organise autour du syndicalisme. En effet, le droit de grève est autorisé en 186481 en France et en 1875 en Angleterre, les syndicats sont autorisés en France en 188482 par la loi Waldeck-Rousseau. De ce fait, des grands syndicats sont créés à la fin du siècle :

 

 

Ces syndicats mobilisent massivement les ouvriers lors des crises, par exemple lors de la Grande dépression (1873-1896). D'autre part, ils sont influencés par le socialisme scientifique – le marxisme – théorisé par Karl Marx et Friedrich Engels83.

 

Question sociale

La question sociale est désormais clairement ouverte et posée au niveau politique.

 

 

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